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samedi 26 octobre 2013

Le marché des cliniques privées en ébullition

LE MONDE | Par 

Les cliniques privées se plaignent de ne pas pouvoir facturer leurs opérations à la Sécurité sociale au même tarif que les hôpitaux publics.
Les cliniques privées se plaignent de ne pas pouvoir facturer leurs opérations à la Sécurité sociale au même tarif que les hôpitaux publics. | REUTERS/© Jean-Paul Pelissier / Reuters

C'est un secteur économique pas comme les autres qui entre aujourd'hui en ébullition. Sous l'effet conjugué d'une crise de croissance, de la concentration des acteurs et de l'évolution de son modèle économique, le marché des cliniques privées est à la veille d'une recomposition majeure. Un sujet d'intérêt public, puisque l'hospitalisation privée représente aujourd'hui plus d'un tiers de l'offre de soins des établissements de médecine-chirurgie-obstétrique en France, et notamment plus de 50 % de la chirurgie. Une exception mondiale.
En dépit d'un discours des gouvernements successifs très orienté vers le service public et l'hôpital, "la France dispose d'un système d'une très grande liberté pour le patient comme pour le médecin", souligne Mireille Faugère, directrice générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, pour expliquer le poids du privé dans le secteur.
Les quelques 1 100 cliniques et hôpitaux privés de France sont des PME locales, parfois réunies dans des ensembles régionaux, ou des filiales de groupes nationaux. Bref, des entreprises en concurrence sur un marché. Mais ce "marché" est extrêmement réglementé. Ses acteurs n'y ont ni la liberté d'installation ni celle du choix des activités et encore moins celle de fixer les prix : 80 % à 90 % de leur chiffre d'affaires est versé par l'Assurance-maladie sur la base d'une grille tarifaire. "Nous sommes des entreprises semi-publiques", aime à dire Marcel Hermann, expert-comptable et vigneron, qui a bâti, en sept ans, à partir de Montpellier, l'un des groupes les plus importants du pays, Médipôle Sud Santé.

"NOUVELLE PHASE DE CONCENTRATION"
Avec le déficit abyssal de la Sécurité sociale (6,2 milliards d'euros prévus en 2014 pour la seule branche maladie), l'âge d'or des cliniques serait-il révolu ? Le secteur, qui a vu sa rentabilité fondre ces dernières années, n'est pourtant pas condamné. Mais sa transformation s'accélère. Selon les chiffres de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), un quart des établissements est en déficit. La rentabilité moyenne des établissements est tombée à 1,8 % en 2011.
C'est la conséquence de l'effet de ciseaux imposé par les pouvoirs publics."Entre 2006 et 2013, les tarifs à l'activité de l'Assurance-maladie ont augmenté de 3 %, tandis que les charges ont bondi de 28 %", dénonce Pascal Roché, directeur général de la Générale de santé, le plus ancien et le plus puissant groupe privé (1,9 milliard d'euros de chiffre d'affaires en 2012).
Pour respecter l'objectif de dépenses de l'Assurance-maladie, fixé chaque année (+ 2,4 % en 2014, soit la plus faible progression depuis quinze ans) lors du vote du budget de la Sécurité sociale, les tarifs de nombreux actes sont revus à la baisse. Et la promesse d'un alignement des tarifs des actes médicaux du privé sur ceux de l'hôpital public (l'écart est en moyenne de 22 %) a été abandonnée en 2012 par la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine. Une situation qui permet à l'hôpital public de regagner des parts de marché.
On ne voit pas comment ces contraintes pourraient s'alléger. Sans compter la fiscalité du secteur. D'après les calculs de la FHP, la facture d'impôts et de charges sociales liés au statut privé s'élève à 600 millions d'euros par an. Pour faire face, le secteur parle industrialisation des procédés et économies d'échelle. "Le volume permet la qualité et l'efficacité économique", assure Pascal Roché. "Nous allons connaître une nouvelle phase de concentration", prévient Jérôme Nouzarède, qui a créé en 2000 le groupe Vedici (31 établissements).
"VA-ET-VIENT D'INVESTISSEURS"
Après la constitution de groupes nationaux, souvent à l'aide de fonds d'investissement comme Blackstone chez Vitalia, le numéro deux du marché, LBO France (Médi-Partenaires), Apax Partners (Capio), 3i (Vedici) ou Bridgepoint (Médipôle Sud Santé), le mariage entre poids lourds est envisagé. Cela permettrait à certains actionnaires de sortir du marché.
Les fonds d'investissement, pour beaucoup arrivés il y a une dizaine d'années au moment où la rentabilité des cliniques était à un niveau historiquement élevé, ont aujourd'hui des fourmis dans les jambes. Les dossiers de vente de plusieurs de ces groupes circulent.
Même la Générale de santé, dont le capital est contrôlé par une personne physique, le médecin italien Antonino Ligresti, est dans cette problématique. Le pacte d'actionnaires qui compte le fonds De Agostini et Mediobanca arrive à échéance fin 2014. Pour l'heure, afin d'alléger son endettement et de conserver sa capacité d'investissement, le groupe a mis en vente cet été l'ensemble de sa branche de santé mentale (27 établissements de moyen séjour).
Une situation qui alarme Etienne Caniard, le président de la Mutualité française. "Ce va-et-vient d'investisseurs au gré de l'évolution de la rentabilité déstabilise le marché et crée une extrême vulnérabilité de l'offre de soins sur le territoire", explique-t-il. Le secteur privé à but non lucratif est le parent pauvre de ce duel politico-économique qui oppose public et privé. C'est pourtant lui qui domine le marché dans de nombreux pays.
La situation des grands groupes reste bien meilleure que celle de la plupart des cliniques moyennes. Car l'équation économique devient délicate, notamment dans les villes intermédiaires. Vitalia, Vedici et Capio focalisent leur stratégie d'acquisition sur ce type d'établissements, pour les regrouper ou les rattacher à un centre médico-chirurgical de référence.
"Le rythme des rachats d'établissements va s'accélérer", anticipe Philippe Durand, promu le 1er octobre directeur général France du groupe suédois Capio. Les régionaux comme OC Santé (Hérault), HPM (Nord) ou Courlancy (Champagne-Ardenne) sont eux aussi acteurs de cette consolidation.
VALEUR COMMERCIALE DU TERME HÔPITAL
Le mouvement de concentration s'explique par le niveau élevé des investissements. Jean-Baptiste Mortier, le patron de Vitalia – constitué de 47 établissements achetés les uns après les autres –, investit en moyenne 40 millions d'euros par an, "entièrement autofinancés", précise-t-il. La capacité d'investissement devient le nerf de la guerre.
Elle permet aussi d'attirer les médecins, chirurgiens et anesthésistes. Car, autre étrangeté de ces entreprises privées, elles n'ont des patients que si elles ont des médecins... Or, les quelque 40 000 praticiens qui y travaillent n'en sont pas salariés. Ils exercent en libéral et perçoivent leurs honoraires contre une redevance à l'établissement.
"Un plateau technique comprenant quinze blocs opératoires, c'est 10 millions d'euros, hors immobilier", chiffre Marcel Hermann. La clinique Toulouse-Lautrec d'Albi (Tarn), du groupe Vitalia, vient de s'offrir pour 2 millions d'euros un robot Da Vinci pour la chirurgie de la prostate. "Cela satisfait nos urologues, qui viennent également de notre établissement de Castres, cela réduit de huit à quatre jours le séjour du patient et de 70 % les risques postopératoires, et ça renforce l'image de marque de l'établissement", résume Jean-Baptiste Mortier. A coups d'investissements technologiques et de construction de nouveaux bâtiments, les cliniques, transformées en polycliniques, deviennent hôpitaux privés. La valeur commerciale du terme hôpital est grande.
Si le privé est pénalisé par des tarifs inférieurs à l'hôpital public, il n'a pas les mêmes contraintes et sans doute pas la même clientèle. Il peut mettre en place des organisations plus efficaces, souples et économes. L'hôpital privé d'Antony (Générale de santé) dans les Hauts-de-Seine, troisième service d'urgences d'Ile-de-France, s'enorgueillit d'un temps d'attente moyen des patients de neuf minutes.
Avec une activité de chirurgie ambulatoire programmée importante, voire prépondérante, de nombreux services ferment la nuit et le week-end. Chez Vitalia, des accords ont été négociés pour que le personnel fasse des journées de douze heures, ce qui correspond à l'amplitude horaire d'un bloc opératoire, en échange de récupérations et de week-ends de trois jours.
L'hôpital public, contraint notamment par le statut des personnels et une lourdeur administrative, commence seulement à rattraper son retard en matière de chirurgie ambulatoire, alors que les autorités sanitaires du pays en avaient fait une priorité.
RÈGLES ET DES TARIFS
Pour diversifier les recettes, de nouveaux services sont concoctés. La Générale de santé teste, depuis 2012, dans l'un de ses gros hôpitaux, un poste de directeur du marketing et des relations patients, notamment en direction des jeunes mamans de la maternité.
Mais ce sont surtout de nouvelles activités, moins gourmandes en capitaux, qui sont recherchées. De nombreux groupes constituent désormais des filières au niveau départemental en intégrant des établissements de soins de suite et de réadaptation. Une activité plus rentable que la chirurgie. "C'est le pendant du développement de l'ambulatoire", confirme Marcel Hermann. Son groupe a aussi sa propre filiale d'assistance médicale à domicile.
Cette bataille pour la rentabilité ne doit pas faire oublier que le marché est protégé (pas de nouveaux entrants) et en croissance. Sa clientèle est solvable grâce à l'Assurance-maladie et aux complémentaires santé. "Je sais à 80 % que mon établissement sera là dans vingt ans, ce qui est rare pour une entreprise privée", avoue Jean-Loup Durousset, le président de la FHP.
Mais les choses vont changer. Soit par l'action des autorités de santé, soit par l'arrivée d'une nouvelle catégorie d'investisseurs. Les regards se tournent vers les complémentaires santé, largement capitalisées et inquiètes des dérives de l'hôpital. Ce sont elles qui solvabilisent les dépassements d'honoraires des praticiens.
Etienne Caniard rejette fermement cette hypothèse. "L'économie sociale et solidaire n'est pas là pour jouer les supplétifs de l'économie de marché lorsque celle-ci ne fonctionne plus", lance-t-il. Le président de la Mutualité française attend d'ailleurs de l'Etat une plus grande pérennité des règles et des tarifs afin de pouvoir planifier des investissements à long terme. "Les mutuelles ont la même obligation d'équilibrer leurs comptes", rappelle-t-il.
Réduire le coût de la santé sans diminuer l'offre de soins à un moment où les réseaux privés sont fragilisés, tel est le chemin étroit qui attend le gouvernement. Un défi d'autant plus délicat que l'Inspection générale des affaires sociales s'étonnait récemment de la "connaissance limitée du secteur par l'administration".

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