blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mercredi 2 octobre 2013

"Il est trop petit pour avoir une cuisine et c'est pas une fille"

LE MONDE | Par 
.
. | DR
Quand Isabelle Cabat-Houssais agite une clochette, ses vingt-trois élèves font silence. C'est l'heure de la séquence de lecture commentée pour les CE1 de l'école de la rue de Lancry (Paris 10e). Sur l'estrade, une enseignante trentenaire dont la bibliothèque regorge d'albums colorés aux titres un peu loufoques : L'Histoire vraie des bonobos à lunettes,Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi ?Menu fille ou Menu garçon... Face à elle, des enfants de 7 ans, penchés sur un texte de vingt-cinq lignes titré :"Je veux une quiziiine !" L'histoire de Baptiste qui, pour ses 3 ans, voudrait une cuisine et pas une "grosse moto", comme le lui suggère sa maman.
Après avoir laissé les écoliers déchiffrer l'extrait, Isabelle Cabat-Houssais va se limiter, durant une heure, à poser les questions. "Quel cadeau Baptiste souhaite-t-il pour son anniversaire ?" ; "Pourquoi sa mère lui propose-t-elle autre chose ?" ; "Est-ce que son choix vous étonne ?"
Zineddine, petit brun à lunettes, s'agite sur sa chaise, puis se lance : "Il est trop petit pour avoir une cuisine... et c'est pas une fille." Ninon approuve :"Une cuisine, c'est pas trop un truc de garçon." Mattia nuance : "Moi, j'ai une cuisine, je joue avec et je suis un garçon." Ninon lève de nouveau le doigt : "On dit qu'il y a des garçons manqués. Est-ce qu'il y a des filles manquées ?" Samuel rétorque : "C'est chacun ses goûts." Murmures d'approbation.

LACUNES DANS LA FORMATION
Leur enseignante n'a pas attendu la mise en place du programme "ABCD de l'égalité" – expérimenté dans dix académies dès décembre – pour réfléchir au poids des clichés filles-garçons. "Ce qu'il y a de formidable avec les enfants, c'est qu'ils ne sont pas essentialistes, analyse-t-elle.Autrement dit, ils n'ont pas recours à la nature, au biologique, pour justifier les inégalités. Du coup, ils arrivent à déconstruire d'eux-mêmes les stéréotypes."
C'est à l'IUFM, il y a dix ans, que la jeune femme a commencé à s'interroger sur les attributs et les rôles sociaux attribués aux filles et aux garçons dès leur plus jeune âge. Elle se rapproche alors du mouvement féministe et antisexiste Mix-Cité ; découvre les travaux des chercheures Marie Duru-Bellat, Nicole Mosconi, Françoise Vouillot... "C'est à elles que je dois ma sensibilité, mon intérêt pour ces questions, plus qu'à ma formation."
Ces lacunes dans la formation des enseignants, le rapport des inspections générales consacré à l'égalité à l'école, divulgué en juillet, les a rappelées. Au fil des pages, les inspecteurs ont mis en lumière la difficulté des professeurs à intégrer la lutte contre les inégalités au cœur de leurs pratiques, alors même que les textes réglementaires se succèdent depuis trente ans.
RIRE ÉTOUFFÉ
A l'appui de leur constat, une kyrielle de chiffres qui montrent que si les filles réussissent mieux que les garçons (+ 5,8 % au brevet, + 3,6 % au baccalauréat), elles n'ont pas les mêmes parcours scolaires. Filles comme garçons continuant à se conformer à ce qui est qui perçu comme "leurs" domaines de compétence. "Quand ils se jugent très bons en mathématiques, huit garçons sur dix vont en filière S, mais seulement six filles sur dix", rappellent les inspecteurs.
Isabelle Cabat-Houssais n'ignore pas ce qui se joue parfois inconsciemment en classe. Elle a choisi de s'adresser systématiquement"à toutes et à tous", féminise les noms de métier, est attentive à la répartition du temps de parole, à la manière dont filles et garçons occupent l'espace. "On peut lutter contre les stéréotypes de sexe sans pour autant sortir systématiquement la banderole 'cours sur le sexisme'", dit-elle.
Retour en classe, où la discussion a glissé des jouets aux couleurs, des vêtements aux rôles sociaux. Chaque élève y va de sa confidence. Sébastien : "On peut être un garçon et jouer à la corde à sauter, non ?"Amaury : "Moi j'adore les fleurs, les roses..." Charlène : "A la maison, c'est mon père qui cuisine, et c'est bon..." A chaque rire étouffé, l'enseignante reprend le questionnement : "Pourquoi ris-tu ?" "Vous êtes d'accord ?"...

Subversive, cette pédagogie anti-clichés ? Isabelle Cabat-Houssais ne se l'est encore jamais vu reprocher... "Une seule fois, lors d'un colloque, quelqu'un m'a reproché de faire du prosélytisme, alors que je me contente d'appliquer les textes."

Aucun commentaire: