En France, on n’a pas le droit de frapper une personne adulte, pas le droit de frapper un animal, mais on peut frapper un enfant. L’énoncé fait sursauter. Il correspond pourtant à une réalité juridique. Tandis que vingt-trois des vingt-sept pays de l’Union européenne ont interdit toute forme de châtiment corporel dans leurs lois, la France fait figure de retardataire, avec une jurisprudence qui admet un «droit de correction»des enfants au sein de la famille. Et, alors que notre pays fait l’objet d’une procédure de «réclamation» à ce sujet initiée par une ONG (1) devant le Comité européen des droits sociaux, le gouvernement français (précisément le ministère des Affaires étrangères) vient de transmettre sa réponse. Qui déclare, en résumé, qu’il ne voit pas où est le problème : notre code pénal, qui interdit les violences sur mineurs, lui paraît parfaitement suffisant.
Va-t-on rester le pays où l’on pense que «les fessées sont une méthode éducative», selon l’association l’Union des familles en Europe (UFE), auteur du seul sondage sur la question (2) dans lequel 87% des parents disent y avoir eu recours au moins une fois ? Outre la réclamation devant les instances européennes, d’autres signes de progrès se manifestent pourtant. Comme la mobilisation d’élus, députés et sénateurs Verts, PS, UDI et Front de gauche. Associés à des chercheurs et des médecins, ils réclament une loi interdisant toute forme de punition corporelle. Mais reconnaissent se heurter à des «barrages». Pourquoi la France est-elle crispée sur sa fessée ? Va-t-on évoluer ?
«droit de correction». Une chose est sûre, ce n’est pas en lisant la réponse écrite de la France au Conseil de l’Europe - un «enchaînement de mensonges», épingle une juriste - que l’on apprendra quelque chose. Le gouvernement y exprime sa satisfaction concernant son «arsenal législatif», sans préciser que cet arsenal, uniquement pénal, ne s’attaque qu’aux maltraitances graves. Il passe sous silence le «droit de correction» accordé par les tribunaux, qui nous vaut d’avoir été rappelés à l’ordre deux fois par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, en 2004 et 2009. La résistance de la France ressemble à ce qu’ont connu les pays voisins, analysent Gilles Lazimi et Olivier Maurel, respectivement médecin généraliste et fondateur de l’Observatoire des violences éducatives ordinaires (Oveo), tous deux très engagés dans la lutte contre les châtiments corporels. «Comme dans tous les pays où la tradition du Pater familias - l’autorité du père puis, par extension, des parents - est forte, l’idée d’une loi interdisant de frapper ses enfants est vue comme une intrusion de l’Etat dans la vie privée.»
«Nous sommes des Latins», argumentent d’ailleurs les opposants, oubliant que l’Espagne, le Portugal, ainsi que la Grèce, ont voté l’abolition. L’Italie aussi nous devance : pas encore de loi, mais une décision de la Cour suprême pour l’interdiction absolue. Dans ces pays, l’opinion publique y était au départ défavorable, explique Elda Moreno, responsable de ces questions à la direction générale des droits de l’homme du Conseil de l’Europe. En Suède, où la loi a été adoptée il y a trente ans, 70% des habitants étaient initialement contre. Aujourd’hui, 92% sont pour. «Il faut le temps pour comprendre ce que signifie l’interdiction, dit Elda Moreno. Aucun parent n’a été envoyé en prison pour des gifles ou des fessées. Mais en Espagne, si on voit quelqu’un taper son enfant, on peut lui dire : "C’est interdit." En France, c’est permis. Du coup, entre corrections et maltraitances, difficile de savoir où est la limite. Si l’on entend des coups et des pleurs d’enfant chez son voisin, qu’est-ce qu’on fait ?»

«éducation». Autre explication des résistances, la dimension intime. La majorité des adultes ont déjà reçu une claque ou une fessée (95%, selon l’UFE). «La plupart étaient accompagnées de l’affirmation : "c’est pour ton bien ou tu l’as bien mérité", relève la pédiatre et ex-députée UDI Edwige Antier. Etre contre la fessée, c’est remettre en question son éducation, ses parents.» Difficile aussi de se remettre en cause soi-même lorsqu’on en a administré. Le député (Verts) des Bouches-du-Rhône Jean-Michel Lambert est un des rares à avoir cette honnêteté. «J’ai donné des fessées et je le regrette. Je pense que la violence est quelque chose qui se transmet et se reproduit.» Aux côtés d’Edwige Antier, de Cécile Alzina, secrétaire nationale adjointe du Parti socialiste, d’Edith Gueugneau, députée (PS) de Saône-et-Loire, d’Henriette Zoughebi, vice-présidente (FG) du conseil régional d’Ile-de-France, et de quelques autres, il martèle que la question est politique et non pas privée. «Il y a tout ce discours sur l’insécurité. On nous dit : "les enfants sont de plus en plus violents, on ne peut pas retirer aux adultes un instrument d’autorité", rapporte Edwige Antier. Mais les enfants qui tapent sont presque toujours ceux qui ont été tapés. Et le respect, l’autorité, ne se gagnent pas en levant la main.»
La majorité des pays qui ont voté une loi d’abolition l’ont accompagnée de mesures d’aide à la parentalité. Et d’un débat sur le statut de l’enfant - sujet, et non plus objet - dans la société.
(1) L’association britannique Approach pour la protection de l’enfance.
(2) 2 317 sondés en 2007.