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vendredi 4 octobre 2013

Clémence Gandillot, la science dans la tête

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | Catherine Mary
Clémence Gandillot, illustratrice et scénographe, est aussi un personnage de théâtre qui, comme son double réel, entretient avec les sciences un rapport intime et singulier. Dans Fromage de tête, la pièce de la compagnie Les Ateliers du spectacle, qui sera présentée les 5 et 6 octobre à L'Heure bleue, à Saint-Martin-d'Hères (Isère), lors de la biennale arts-sciences à Grenoble (Rencontres-i.eu), ce personnage occupe un coin de la scène. "Soit le temps "n" pour l'axe des abscisses et quelque chose qui se passe sur l'axe des ordonnées",réfléchit-il, en écho aux digressions de ses partenaires.
"Au départ, on voulait savoir à quoi ça pourrait ressembler si on mettait les pieds dans la tête de Clémence Gandillot quand elle fait des mathématiques", explique la vraie Clémence Gandillot, au sujet du travail de gestation mené avec les comédiens Léo Larroche, Balthazar Daninos et Mickaël Chouquet, qu'elle a embarqués dans son aventure. "Nous avons créé des personnages inspirés de nous-mêmes. Balthazar invente des nouvelles machines, Mickaël vit les choses, Léo les raconte et moi je les théorise."
Cheveux en bataille, son long visage aux aguets, Clémence Gandillot raconte Clémence Gandillot. Elle doute, déduit, confirme à l'aide de gestes précis tandis que son regard bleu clair hésite entre douceur et gravité. On la sent méticuleuse. L'aventure commence en 2004, avec son mémoire de fin d'études, à l'Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, à Paris. Une question la taraude, l'obsède : peut-on relier entre elles toutes les choses dont tous les hommes remplissent leur vie entre le moment de leur naissance et celui de leur mort ?

MISE EN ÉQUATION DES QUESTIONS EXISTENTIELLES
Pour s'en sortir, elle se tourne vers les mathématiques. Elle s'empare du programme de 3et, durant des mois, cherche à mettre en équation ses questions existentielles. Il en résulte un livre jeunesse aussi sérieux qu'impertinent, intitulé De l'origine des mathématiques (MeMo, 2008), où elle démontre, entre autres, que l'enfant est le produit d'une opération appelée la soustraction de naissance. "Toujours est-il que l'homme, par sa soustraction de naissance, se sent vide de son intérieur (...). Le vide n'est pas tant l'absence de choses que l'absence de lien entre les choses", y explique-t-elle à l'aide d'un graphisme simple et expressif.
"Il y a dans son ouvrage un émerveillement, une critique et une fraîcheur qui m'ont mis en confiance, commente le mathématicien Laurent Guillopé, de l'université de Nantes, sollicité pour la création de son deuxième spectacle, L'Apéro mathématiquesElle prend les mots et les agite dans tous les sens. Cela donne des résultats très féconds qui invitent les mathématiciens à réfléchir sur la manière dont ils utilisent le langage."

Cette approche n'est pas sans filiation avec celle de Jean-Pierre Larroche, directeur des Ateliers du spectacle, dont elle voit une représentation en 2005. Elle en ressort bouleversée. "Il était seul sur scène avec un décor qu'il manipulait. Il faisait des expériences avec les choses (...) C'est comme s'il avait réussi sur scène à représenter l'espace mental", se souvient-elle. Elle lui écrit. En réponse, il l'incite à travailler avec trois comédiens de sa compagnie du même âge qu'elle, en quête de création. Avec Léo, Balthazar et Mickaël, ils se retrouvent régulièrement pendant trois ans dans un atelier que Jean-Pierre Larroche met à leur disposition dans la région parisienne, avec pour ambition de mettre en scène l'espace mental de Clémence Gandillot. Le T de n-1, leur premier spectacle, est le fruit de ce travail. On y découvre son personnage en proie aux méandres de sa pensée, dans une scénographie faisant intervenir une voix off, des images projetées sur la scène et des animations.
MÉCANISMES DE LA PENSÉE
A mesure qu'elle apprivoise son personnage, Clémence Gandillot s'amuse de la manière dont elle pense. D'autres projets émergent. Pourquoi ne pas aller voir ce qui se passe ailleurs, dans d'autres têtes que la sienne, à commencer par celle des mathématiciens ? Pour cela, les artistes disposent d'outils bien à eux. Le protocole CCMdlt, pour "Comment ça marche dans la tête ?", qui repose sur des exercices de réflexion d'une durée de sept minutes, et un questionnaire contenant des interrogations déroutantes telles que : "Quel est le mot que vous employez le plus dans vos recherches ?"

Une quinzaine de mathématiciens de l'université de Nantes, de l'Ecole supérieure des mines de Saint-Etienne et du CEA de Grenoble se sont ainsi prêtés au jeu. "Un des mathématiciens nous a raconté qu'il dessinait des formes géométriques quand il passait sa tondeuse dans son jardin, se souvient Léo Larroche. Pour nous, c'était de la matière pour fabriquer des personnages", poursuit-il. "Certains collègues ont senti qu'on allait les questionner sur leur intimité. Au départ, ils ont refusé, se souvient Laurent Guillopé. Mais les artistes ont remarquablement bien compris certaines choses, comme l'importance du travail au tableau noir pour les mathématiciens."
Fromage de tête poursuit cette exploration en s'intéressant aux mécanismes de la pensée communs à chacun d'entre nous, lorsque nous doutons ou que nous avons un cheveu sur la langue. Il y est question de neurones miroirs, d'un casque à idées et d'une étrange machine à réflexion inventée par Balthazar. Depuis la salle, Clémence Gandillot suit la répétition. La comédienne Cécile Coustillac la remplace désormais dans son propre rôle. D'autres projets l'attendent, ailleurs. Elle réalise aussi les dessins de films d'animation scientifiques. Elle rêve d'en écrire les scénarios pour que ses questions trouvent des échos sur d'autres scènes que le théâtre et continuer ainsi à relier entre elles les choses de sa vie par des fils invisibles.

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