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jeudi 29 août 2013

Marina de Van. Entomologiste de soi

29 août 2013

La rentrée des pages (10/12). Cette cinéaste, actrice, scénariste publie le récit dantesque de son ex-toxicomanie.

Paris le 15/07/2013
Marina de Van, écrivain.
CHOIX
COMMANDE N°2013-0787
(Photo Fred Kihn)
Ça la surprendra peut-être mais ne la contrariera pas vu son goût pour le cinéma américain : après rencontre, Marina de Van nous évoque l’actrice Megan Fox (Transformers). Ce visage pâle, cette chevelure jais, ce regard (chez elle gris) impassible. Cette présence très fixe surtout, d’un calme intimidant et hypnotique que renforce une voix grave. Mais l’intimidation provient aussi de sa production.
Stéréoscopie, son deuxième livre qui paraît en septembre, évoque l’addiction de Marina de Van. A l’alcool, à la drogue (jusqu’à 13 grammes de cocaïne par jour), aux médicaments. Un dévissage complet avec hospitalisations, rehabs, qu’elle restitue en entomologiste, d’une précision maniaque et ultralucide à l’opposé complet de l’erratique plongée en cours. Le sujet (elle) titube, disjoncte, se pisse dessus, voire plus. L’auteure (elle) maîtrise son écriture avec la sobriété d’un moine cistercien. Bilan : une grande puissance d’arrêt, l’impression d’une extrême violence circonscrite par des mots-digues ciselés. Extrait : «Je continue de jouir de la mortification d’un corps qui trahit de plus en plus son épuisement, que je néglige, qui suinte l’odeur de l’alcool, mêlée à celles de la sueur et de l’urine. Je me sens ainsi protégée, de façon régressive, de la violence du monde, de l’ennui, de la vacuité des journées d’un été dont je ne sais pas quoi faire. Je laisse l’alcool et les calmants me guider vers une stupeur animale, où je ne sais plus quoi penser.»Essayez de ne pas suffoquer, avec ça. Ou encore, dans son premier livre, Passer la nuit, qui infuse dans la dépression : «Pourquoi ne puis-je vivre une autre vie que celle prescrite par le ressassement des douleurs ? Il y a là un défaut, une disposition de caractère, qui maintient mes pensées dans le cadre étroit d’une peine obsessionnelle.» Plume souveraine, mais femme aussi puissante que fragile, fêlée, borderline, voire toxique : c’est avec ce tableau cubiste en tête qu’on est parti à sa rencontre.

Sereinement mais fermement, Marina de Van réfute «toxique». «Je ne suis pas du tout destructrice, j’ai des rapports très doux avec les gens, du moins je le crois. […] Avec moi en revanche, c’est vrai que je suis assez brutale.» On suggère de l’autoévaluation sans merci. «C’est ça : pas assez rapide, pas assez fine, à tous égards et surtout intellectuellement… Ce n’est jamais assez bien.» Exit «toxique» aussi parce qu’elle n’est plus toxicomane. N’est même pas assujettie à un traitement. Et si elle voit un psychanalyste, «c’est parce que ça [l’intéresse] intellectuellement». Guérie, rideau, donc ? Il est possible de revenir de si loin ? Elle : «Oui, c’est une affaire close, et si je peux avoir des tentations, je sais y résister. C’est d’ailleurs assez bizarre car, comme vous, tout le monde commence par me demander comment ça va, je me retrouve face à une sollicitude un peu décalée, sachant que la sollicitude n’est pas une chose qui me plaît, je n’ai pas besoin d’être maternée.» Le verbe de l’exkhâgneuse à Henri-IV, qui fit son mémoire de maîtrise de philo sur Critique de la raison pure,est aussi précis que son écriture, à donner envie de le restituer in extenso, voire de lui laisser la main. Ça ne lui déplairait pas, la cérébrale qui «aime la difficulté» s’admet control freak. Du genre, dans ses scénarios, à détailler «jusqu’à la couleur de la moquette».Ou, là, d’être un brin contrariée par la liberté du photographe qui ne s’est pas cantonné au plan américain qu’elle souhaitait.
Etre cadrée, circonscrite, clairement la révulse. Voir le mur d’évanescence qu’elle oppose à nos tentatives d’affiliation. Versant cinéma, par exemple : hormis le penchant pour la veine américaine, Marina nous laisse mariner, ne concède aucun réalisateur de prédilection («je n’en ai pas vraiment»), tout juste le très noir The Place Beyond the Pines comme dernier film apprécié. Idem de la musique, alors qu’elle porte un casque d’accro au baladeur autour du cou. Idem de la littérature (hormis un engouement d’enfant pour Kawabata). Angot, autre entomologiste de soi ? «Le peu que j’ai lu ne m’a pas beaucoup touchée.» Marcela Iacub ? «J’ai eu envie de lire son livre sur DSK, je suis curieuse de cette thématique, mais j’ai oublié.» Et idem des arts plastiques, auxquels elle se destinait pourtant. On insiste, on voudrait l’acérée du livre aussi tranchante que la dague. Marina de Van, qui si elle était un animal serait «un loup, ou, en deuxième position, un ours», finit par claquer un : «Je n’ai pas un caractère très "fan de".»
Cinéaste, c’est son métier et son activité principale. Il le reste malgré l’échec de Ne te retourne pas, film-miroir avec Sophie Marceau et Monica Bellucci dont le naufrage à Cannes en 2009 ouvre le livreStéréoscopie. MDV est aussi actrice, vue notamment chez Ozon, et scénariste. A l’entendre, il semble pourtant qu’elle y soit venue comme par erreur d’aiguillage : un concours de la Femis réussi, qui évacue l’échec à l’entrée aux Beaux-Arts alors qu’elle se projetait sculptrice de machines en ferraille. D’où cette envie venait-elle ? Nouveau refus de tout déterminisme, De Van ne se cherche jamais d’excuses, s’assume résolument, crânement. Son père musicologue et sa mère avocate aiment les arts, vont aux expos, lisent, et un de ses deux frères cadets chéris, Adrien, est comédien, nouvellement nommé à la direction du théâtre de la Villette (l’autre travaille en Birmanie pour Total). Mais sa trajectoire résulte, dit-elle, avant tout d’une appétence personnelle, qui l’a d’abord menée au dessin, puis aux volumes, «et il fallait que ça bouge».
Donc, elle ne donne pas de clé. Soit. Prenons nos responsabilités, choisissons-en au moins une. Ce «il fallait que ça bouge»,précisément. Aussi maîtrisée nous apparaît-elle, aussi «agréable» le patron des éditions Allia, Gérard Berréby, la décrit-il («très à l’écoute et très ouverte malgré le caractère très intime de ce qu’elle écrit»),Marina de Van est une ébullition ambulante. Inquiète qui a «peur de tout», du vide «même dans une piscine» jusqu’aux insectes. Superstitieuse qui se refuse à prononcer le nom de certaines maladies. L’angoisse peut virer à la crise dans les gares : «Ça brasse trop, trop de visages, de bruits, je panique vite… En fait, j’ai besoin de repères.» Parmi ces balises, un café quotidien avec une amie,«faire la piqûre à mon chat diabétique», se coucher, de bonne heure désormais. Sachant que bébé, elle était déjà insomniaque. «Mon cerveau ne débranche pas, il est sur "on".» Si elle était un objet, elle serait un lit. Dans le sien, aucun homme ne dort ces temps-ci, elle en rit, allègre : «Je suis un cœur à prendre ! Mais n’écrivez pas ça, ça va faire pathétique.»
Et puis, il y a le sport. Une heure minimum par jour. Du soft, (yoga) et du hard (body pump). Des protéines complètent le dispositif.«Maintenant, je suis addict aux endorphines», se réjouit Marina de Van, soudain solaire. Si elle était un personnage de fiction ? Elle choisit Superman. 
Photo Fred Kihn

Marina de Van en 8 dates

8 février 1971 Naissance à Boulogne. 
1996
 Bien sous tous rapports, court métrage. 
1997 
Diplômée de la Femis. 
2002 Dans ma peau, premier long métrage. 
2011
 Passer la nuit, premier roman (éditions Allia). 
2012
 Le Petit Poucet, téléfilm. 
15 septembre 2013
 Stéréoscopie (Allia). 
2014 Dark Touch en salles.

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