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vendredi 30 août 2013

Désert médical cherche médecin, 3 640 euros net

LE MONDE | 
ale de santé à Strasbourg, le 27 août – pourrait bientôt exercer en Alsace, grâce à un contrat de "praticien territorial de médecine générale". | Eric Vazzoler pour Le Monde
Jeune médecin remplaçant en Italie, Daniel Clama – reçu ici à l'Agence régionale de santé à Strasbourg, le 27 août – pourrait bientôt exercer en Alsace, grâce à un contrat de "praticien territorial de médecine générale".
Jeune médecin remplaçant en Italie, Daniel Clama – reçu ici à l'Agence régionale de santé à Strasbourg, le 27 août – pourrait bientôt exercer en Alsace, grâce à un contrat de "praticien territorial de médecine générale". | Eric Vazzoler pour Le Monde
Le docteur Jean-Paul Felden a aimé exercer son métier, trente-sept ans durant, à Wingen-sur-Moder, une commune reculée de l'"Alsace bossue", en pleine forêt vosgienne. Mais les temps ont changé. A l'heure de prendre sa retraite, en janvier, il a bien cru qu'il ne trouverait personne pour lui succéder. En juin, la chance lui a souri. Elle venait d'Italie.
Daniel Clama y est remplaçant depuis six ans. Mardi 27 août, le jeune médecin italien avait rendez-vous à l'Agence régionale de santé (ARS) à Strasbourg et à l'ordre des médecins pour son inscription en France. Il pourrait être l'un des premiers à signer un contrat de "praticien territorial de médecine générale", qui lui garantira un revenu minimum de 3 640 euros net par mois pendant deux ans. La mesure vise à inciter de jeunes médecins à s'installer en libéral dans ce que l'on appelle les déserts médicaux ; elle a été publiée au Journal officiel le 15 août. Déjà, les ARS avaient commencé à chercher des candidats.

"Mon seul souci, c'est de gagner au moins autant qu'en Italie. Le reste ne me fait pas peur", explique le jeune homme de 32 ans, joint par téléphone en Italie. Ce sont les premiers mois qu'il redoute : il a un "gros emprunt"sur le dos pour sa maison. Venir en France, cela signifie pouvoir avoir son cabinet, et accessoirement gagner plus. En Italie, l'Etat n'autorise l'installation des jeunes qu'au compte-gouttes, et le médecin n'est pas payé à l'acte mais au forfait (25 euros par an et par patient). Autour de 25 000 euros annuels, calcule-t-il. Sa femme, elle, pourrait aller jusqu'à créer un cabinet près de Saverne.
C'est une amie cardiologue à Forbach (Moselle) qui lui a dit qu'en France, il trouverait où s'installer, et lui a suggéré de chercher des aides, évoquant le futur contrat de praticien territorial, alors dans les tuyaux. Sur le site Annoncesmedicales.com, il a repéré celle du docteur Felden.
COMPLÉMENT DE REVENU
En juillet, pendant quinze jours, l'Italien a participé aux consultations et aux visites. Le diagnostic, les médicaments utilisés, le contact, "tout collait", selon ce dernier. L'Alsacien le sait, les jeunes craignent de s'installer dans les zones, souvent enneigées, où il faut attendre le Samu trois quarts d'heure sans paniquer. Cela ne fait pas peur à "Daniel", fan de montagne, et cela plaît au docteur Felden.
C'est lui qui a appelé l'ARS pour se renseigner sur le futur contrat de praticien territorial – "Je veux lui donner toutes ses chances", avoue-t-il. Il était alors trop tôt, mais cela a permis à l'agence de détecter un bénéficiaire potentiel. "De toute ma carrière, c'est la mesure la mieux ficelée que j'ai vue. Il y en a eu tellement à côté de la plaque. Au moins, cela évite le cauchemar financier."
La mesure consiste en un complément de revenu. Il ne sera versé que si le médecin réalise plus de 165 actes par mois (38 par semaine) – afin d'écarter les profiteurs. Le chiffre d'affaires garanti s'élèvera à 6 867 euros par mois, soit 3 640 euros net – l'équivalent de 69 consultations hebdomadaires. Si son chiffre d'affaires est supérieur, il ne touchera rien ; s'il est inférieur, il percevra la différence. Des contreparties seront exigées, comme participer aux gardes.
Le docteur Felden réalise autour de 90 actes par semaine. Quand c'est sa remplaçante, c'est plutôt 60. Son successeur devrait atteindre plus ou moins ce chiffre, et donc toucher le complément prévu par la mesure. Quand on est nouveau, il faut toujours un peu de temps pour lever la suspicion des patients, surtout les personnes âgées. Mais Daniel Clama espère bien qu'il n'aura pas longtemps besoin d'un soutien financier.
A 10 km de là, à travers la forêt vosgienne, à La Petite-Pierre, on rêve d'un deuxième généraliste. Dans ce village touristique où les hôtels sont plus nombreux que les médecins, c'est le pharmacien, Claude Windstein qui a permis à l'ARS de repérer un candidat potentiel. Dans un mail, il indiquait qu'un médecin était sur le point d'accepter de s'installer, et demandait s'il existait des moyens de l'aider financièrement. "On le sentait hésitant, on savait qu'on lui faisait des ponts d'or ailleurs, il ne fallait pas louper son arrivée", raconte-t-il. Il ne le cache pas, il y voit un intérêt pour La Petite-Pierre, mais aussi pour son chiffre d'affaires. Commune, conseil général, député, d'autres leviers ont aussi été actionnés pour que la rénovation d'un cabinet pour deux soit financée.
"J'AI UN INTÉRÊT À TROUVER QUELQU'UN : ÉVITER LE BURN-OUT"
Le médecin qui devrait arriver est connu, c'est le remplaçant du seul médecin en place, Gilles Heidrich. Celui-ci a bataillé pour le convaincre."J'ai un intérêt à trouver quelqu'un : éviter le burn-out", confie le généraliste de 33 ans, le même âge que son futur associé. Il fait au moins 600 actes par mois. Beaucoup trop.
"La crainte légitime de mon confrère, c'est son futur chiffre d'affaires. Je lui ai dit que j'étais prêt à partager les patients. Je n'ai pas besoin d'autant d'argent", raconte le docteur Heidrich, qui veut travailler moins et mieux, avoir du temps pour ses enfants. Il reconnaît que le contrat de praticien territorial pourra aider son confrère dans un premier temps. En tout cas, si ça peut participer à le convaincre, tant mieux.
Pourtant, la mesure le laisse perplexe : "C'est un peu comique. Le risque ici, c'est trop de consultations, et non pas assez." Dans ces conditions, les contrats ne devraient pas coûter trop cher à l'assurance-maladie. D'autres pourraient néanmoins en avoir davantage besoin. L'intégration n'est pas toujours facile. Non loin de là, une médecin roumaine n'a-t-elle pas une salle d'attente qui se remplit lentement ?
"Ce nouveau contrat comble un besoin. Il y a de nombreux freins à l'installation dans une zone rurale pour les jeunes. Alors si en plus il y a un risque de difficultés financières...", explique Katia Moos, la "référente installation" de l'ARS. L'Alsace a obtenu trois contrats pour 2013. Ils seront signés dans des zones repérées à risque (population âgée, médecins âgés et peu nombreux...). Des zones qui, justement, rebutent les jeunes.
En plus des futurs généralistes de La Petite-Pierre et de Wingen-sur-Moder, l'agence a repéré trois médecins installés depuis moins d'un an, catégorie qui peut aussi prétendre à la mesure. L'un d'eux, qui a choisi Masevaux dans le Haut-Rhin, a été contacté. Deux femmes devraient l'être prochainement. Un contrat pourrait leur être proposé pour 2014, ou à la fin de l'année, si d'autres régions n'ont pas fait le plein des candidats.
Faut-il craindre un effet d'aubaine, et des départs après deux ans ? L'ARS pense s'en prémunir, les médecins contactés ayant tous engagé leurs démarches avant l'entrée en vigueur du contrat. Pour l'instant, il n'y a eu aucune candidature spontanée. La mesure connue, cela pourrait venir.

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