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mardi 30 juillet 2013

La vie, cette longue maladie chronique

 Par ANNE DIATKINE
Conversation de bureau : «Tu serais quoi, si tu étais enfant, aujourd’hui ? Un T.H.D.A. - un hyperactif - ou un autiste non diagnostiqué ?» Temps de réflexion. «J’étais phobique scolaire à l’époque, mais j’ai pris de l’amplitude. Je serais phobique sociale.»Phobique sociale ? Et pourquoi pas simplement «timide» ? On a oublié la disparition de ce trait de caractère, au début des années 80, au profit d’une maladie mentale extrêmement répandue et d’autant plus lucrative pour les compagnies pharmaceutiques. Puis, quelques années plus tard, aux alentours de 2006, la disparition à son tour de cette épidémie. En 1988, il n’était plus possible de refuser les invitations à dîner avec plus de trois convives, de ne rien trouver à dire aux gens qu’on croise dans un ascenseur, de ne pas parvenir à rire des blagues avant d’arriver à l’étage, sans risquer le diagnostic de «phobique social». Pourquoi ? «Avant de vendre un médicament, il faut vendre la maladie», explique Christopher Lane, dans Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions (1). L’essayiste raconte la saga du Paxil, un antidépresseur délaissé que le laboratoire GlaxoSmithKline a relancé en cherchant un dénominateur commun à la plupart des humains. C’est ainsi que la timidité a muté aux Etats-Unis en phobie sociale, puis, dans les années 90, en «trouble de l’anxiété sociale».
Selon le manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux alors en vigueur (DSM-IV), la maladie incluait, entre autres, la crainte de faire une gaffe. Commercialisé en 1992 en France sous le nom de Deroxat, l’antidépresseur fut également prescrit contre la timidité, et rivalisa avec les ventes du Prozac. Mais, des deux côtés de l’Atlantique, des collectifs gagnèrent leurs procès intentés pour avoir été mal informés, en particulier sur les dangers d’accoutumance. La découverte de ces méfaits fit baisser les ventes. Depuis, a-t-on de nouveau la possibilité d’être timide ? «Le diagnostic de trouble de l’anxiété sociale est devenu rarissime. Plus personne ne prescrit du Deroxat pour vaincre une timidité invalidante», dit un psychiatre. Mais d’autres maladies sont apparues. Le DSM-V vient de découvrir «le trouble compulsif d’entassement», autrement dit la difficulté à jeter. Et requalifie la gourmandise en «trouble de l’hyperphagie». On attend avec impatience un nouveau médicament qui vise à réduire la«distractibilité» au bureau, selon le terme employé par la firme qui va le commercialiser. Son spectre est large puisqu’il concerne tous les gens qui ont besoin de bouger pour penser. Comme le disait une journaliste américaine à propos du Paxil, les CE pourront-ils avoir des prix de gros ?
(1) Editions Flammarion Lettres

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