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samedi 27 juillet 2013

Des statues dans les chambres à coucher pour mieux procréer

LE MONDE | Par 
Ce fut un étrange bonhomme. Fils d'un cordonnier de Calabre, orphelin de mère à 5 ans, il aurait tout appris en écoutant à la fenêtre de l'école. Moine dominicain mais philosophe sensualiste, ennemi d'Aristote, ami de Galilée, emprisonné, torturé pour hérésie, comploteur, utopiste, Tommaso Campanella (1568-1639), en vingt-trois ans de cellule, eut tout loisir de mettre au point sa fantastique Cité du Soleil. Protégés par sept murs d'enceinte, les Solariens y vivent deux cents ans, l'espèce s'étant nettement améliorée grâce à la science médicale et au strict contrôle, comme chez Platon, des accouplements.
Les trois magistrats assistant le chef suprême du gouvernement se nomment Puissance, Sagesse et Amour. Ce dernier a "pour principale fonction de veiller à tout ce qui regarde la génération et de régler les unions sexuelles de telle sorte qu'il en résulte la plus belle race possible". Les lecteurs de La République, éventuellement ceux de cette modeste série, auront reconnu le projet platonicien : mettre de l'ordre là où la vie réelle est toujours la plus imprévisible et la plus chaotique - au coeur de l'érotisme, des unions, de la procréation. Toutefois, si la mélodie est la même, les arrangements du moine sont inattendus.
Hygiène et papauté sont passées par là : "Les individus appelés à remplir les fonctions génératrices ne peuvent s'y livrer qu'après que la digestion est faite et qu'ils ont offert leurs prières à Dieu." S'invitent aussi, dans cet eugénisme baroque, des dispositifs évoquant les courses de chevaux, voire la corrida sur thème astral : "Le géniteur et la génitrice dorment dans des cellules séparées jusqu'à l'heure fixée pour le rapprochement et à l'instant précis une matrone vient ouvrir les deux portes. L'heure favorable est déterminée par l'astrologue et le médecin."

AMÉLIORATION MORALE DE L'ESPÈCE
Absolument rien n'étant laissé au hasard, il faut encore trouver les moyens d'assurer, par-delà les arrangements physiologiques, l'amélioration morale de l'espèce. D'où cette disposition ingénieuse : "On a soin de placer dans les chambres à coucher de belles statues représentant les hommes les plus célèbres, pour les livrer à la contemplation des femmes, qui bientôt portant leurs regards vers le ciel, demandent à Dieu de leur accorder des enfants semblables à ces nobles modèles." Mine de rien, ce stratagème conjugue quelques théories antiques et médiévales sur le pouvoir des statues, l'influence sur le foetus des images ayant impressionné l'âme maternelle au moment de la fécondation, sans oublier l'exemplarité des grands hommes...
Pourquoi les utopies tiennent-elles le lecteur entre rire et inquiétude ? Thomas More, qui inventa le terme pour son récit de 1516, a voulu désigner, comme chacun sait, un pays de "nulle part" - littéralement un "non-lieu" (ou-topos), en grec ancien. Il évoque aussi, on le sait moins - une seule fois, dans un avant-propos de 1518 - un autre sens possible : le pays du bien, le lieu où s'incarneraient enfin idéaux et justice (eu-topos,cette fois). Non-lieu ou bon-lieu ? L'utopie dit constamment que le bien n'est pas ici. En mesurant tout ce qu'elle propose et impose, dans les moindres détails quotidiens, pour qu'advienne le Bien, on se dit qu'il vaut mieux, qu'il vaudrait mieux que pareille perfection restât toujours ailleurs, et de préférence nulle part.

Le passage de référence se trouve dans "La Cité du Soleil ou Idée d'une république philosophique" (éd. 1623), traduit du latin par Villegardelle (1840).

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