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lundi 10 juin 2013

Internet, supermarché des drogues de synthèse

LE MONDE | 
"Pas assez d'argent pour vous payer une ligne ?", interroge le siteZamnesia.fr. A côté du texte, la solution : un flacon de "coke liquide" à 11,25 euros. "Vous voulez partir en trip ?" : le "Liquid LSD" est préconisé. Il aura suffi d'une simple recherche sur Google – "legal high qui ressemble à MDMA" –, et d'un clic sur la troisième proposition de la liste, pour tomber sur un site proposant à la vente de nouvelles drogues de synthèse. Aussi appelées "research chemicals" ou "designers drugs", ce sont des copies légales (ou parfois interdites) des stupéfiants classiques. Cocaïne, héroïne, cannabis... tous ont leurs équivalents, de structure moléculaire proche.
Au premier trimestre, ces produits de synthèse étaient présents dans environ 40 % des collectes réalisées par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies auprès des usagers – ceux-ci lui confient des échantillons quand des substances leur semblent douteuses –, contre 13 % en 2011. Internet a révolutionné le moyen de se procurer des substances psycho-actives.
Entrer dans cette jungle est d'une facilité déroutante. S'y repérer, entre noms commerciaux et appellations chimiques, et ne pas prendre trop de risques, c'est une autre affaire. Chaque semaine, une nouvelle substance apparaît en Europe, une par mois en France.
BIG DADDY
La recherche peut se faire plus directe. "Legal highs + achat" ? De premiers sites de vente en ligne à la présentation criarde apparaissent d'emblée : PartypillsfranceHerbalhighsShivaheadshop... Et avec un mot-clé comme "Benzo Fury", une marque qui fait fureur ? D'autres s'affichent. Fin 2011, une trentaine de sites francophones étaient recensés. Mais les Français vont aussi voir ailleurs. Au total, en Europe, il y avait 170 sites en 2010, 693 début 2012. Ils sont animés depuis les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Les produits viennent de Chine. On paie par carte de crédit, et les produits sont envoyés par colis postaux.
Des produits, il y en a à foison : Big Daddy, TNT ou MDAA ("l'ecstasy naturelle ultime" selon Zamnesia. fr), Gogaine... Comme sur n'importe quel site de vente en ligne, on trouve aussi des promos : sept fioles variées à prix réduit, le troisième sachet gratuit ou le produit du jour... Le marketing ne s'arrête pas là : on trouve désormais des sites spécialisés dans les cannabinoïdes de synthèse, qui ont pris les adolescents pour cible.
La composition peut se limiter aux substances naturelles (taurine, caféine...), sans grand danger. Mais en cliquant sur le nom du produit, difficile de savoir de quoi il est fait. Des analyses ont démontré qu'ils sont souvent issus de mélanges de molécules, aux effets inconnus. Certains sont vendus en vrac, ce qui fait courir un risque de surdosage.
NOM CHIMIQUE
Entrer sur le moteur de recherche le nom d'une molécule "+ achat", c'est ouvrir un autre univers : celui des sites utilisés par un public déjà expérimenté, comme Sensearomatics ou Buyresearchchemical. Des sites sobres, proposant seulement une vingtaine de molécules sous leur nom chimique : 4-MEC, SFPB-22, 6-APB, JWH-122...
Ces enseignes incitent à vérifier que l'importation de la molécule désirée est bien légale dans son pays. Mais qui s'y tient ? La France a classé comme stupéfiant, donc interdit le Spice (cannabis de synthèse) en 2009, et les cathinones en 2012. Mais vente et consommation des nouveaux produits de synthèse ne s'arrêtent pas aux frontières.
On trouve également ce genre de produits sur des sites de petites annonces, mais aussi sur des sites non référencés par les moteurs de recherche (le "deep web"). Pour y accéder, il faut un logiciel spécial qui rend la connexion anonyme. L'URL n'est communiquée qu'entre individus.
Silkroad fonctionne comme eBay : c'est le plus offrant qui l'emporte. On y paie en "bitcoin", une monnaie virtuelle. Ce qu'on y trouve ? Des produits licites, mais aussi illicites. Plus besoin de croiser un dealer. On peut ainsi y acheter 1 gramme de cocaïne pure à 0,86 BC, soit 80 euros. Deux sites de ce type ont été interdits par les Etats-Unis en 2011.
La révolution Internet ne se limite pas à l'achat. Les recherches sur les effets nocifs ne pouvant pas suivre le rythme d'apparition des nouveaux produits, chaque interdiction d'une substance provoquant l'arrivée d'autres, parfois plus nocives, les usagers se sont organisés, en créant eux aussi des sites, comme Erowid et Bluelight, en anglais, Psychonaut,PsychoactifLucid-state en français. Objectif : réduire les risques de surdose, de mauvaises combinaisons et d'arnaques. On y lit des informations, des conseils, et des comptes rendus d'expérience ("trip report").
"16 HEURES : PREMIERS EFFETS"
La méthode est toujours la même : présenter le contexte de la prise et la dose, puis détailler heure par heure les sensations. Comme ce troisième"voyage " avec la MXE (dérivé de la kétamine, hallucinogène), décrit sur un forum : "15 h 30, test all ok. 16 heures : premiers effets. 17 heures : légère oppression des poumons, (...) impression d'être sur une sorte de "montagnes russes chamaniques". 17 h 40 : retour au calme." L'auteur rappelle quelques règles de base, comme de ne jamais consommer seul.
Ce sont aussi les usagers qui ont créé SafeOrScam ("sûr ou arnaque"), un site sobre où il suffit de copier l'adresse d'un site de vente pour connaître la note qui lui a été attribuée par ceux qui l'ont testé. On y recrute les participants par cooptation, pour éviter que des vendeurs s'incrustent.
Mais pour quelques expérimentateurs avertis qui souhaitent maîtriser leur consommation, combien prennent des risques très élevés ? Sur Psychoactif, c'est le forum consacré aux nouveaux produits de synthèse qui est le plus visité. Impossible de connaître le profil de ceux qui le consultent, mais au moins viennent-ils s'informer.

En France, sept fois plus de nouvelles molécules de synthèse en quatre ans.

Des profils d'usagers variés et des risques mal connus
Quatre types d'utilisateurs : il n'existe pas encore de données sur la consommation des nouveaux produits de synthèse dans la population française. Mais déjà, des profils de consommateurs se dégagent, décrits dans "Drogues et addictions, données essentielles", publié le 28 mai par l'Observatoire français des drogues et toxicomanies.
Il s'agit d'abord de consommateurs gravitant dans l'espace festif gay, traditionnellement adeptes de substances psychoactives, souvent dans un contexte sexuel "hard". On trouve ensuite des connaisseurs des travaux scientifiques sur les molécules, se percevant comme des pionniers de l'expérimentation, et consommant plutôt dans un contexte privé. De jeunes adultes, déjà usagers de drogues, fréquentant le milieu techno, constituent un troisième type de consommateurs.
Enfin, un public plus jeune, consommateur occasionnel de drogues, socialement inséré, apparaît depuis 2012 dans des signalements d'intoxications. C'est le groupe le plus à risque d'un point de vue sanitaire, et le plus visé par les sites de vente en ligne.

Des conséquences sanitaires peu évaluées : peu d'études ont été publiées sur les effets des nouveaux produits de synthèse. Quelques cas cliniques commencent cependant à être étudiés. Les symptômes les plus cités sont : hyperthermie, tachycardie, hypersudation, mydriase (dilatation des pupilles), sentiment de mal-être. Il peut aussi s'agir de manifestations psychiques : hallucinations, effets dissociatifs (sensation de perte de l'unité psychique et corporelle), symptômes de type paranoïaque. Plusieurs décès reliés à la consommation de ces produits ont été recensés en Europe en 2011 et 2012.

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