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jeudi 13 juin 2013

Ce qui plombe l'hôpital, c'est sa gouvernance

Le Monde.fr | 
Les dysfonctionnements de l'hôpital sont bien connus des gens qui y travaillent, parfois même des malades qui s'y font soigner. Parmi leurs causes, les plus souvent rapportées sont le passage aux 35 heures et les restrictions budgétaires. Il est évident que la réduction simultanée du temps de travail, des effectifs et des moyens matériels pénalise beaucoup la qualité des soins. Mais il existe une autre raison, jamais évoquée bien que largement responsable des difficultés rencontrées. Cette raison est de nature structurelle et concerne la politique générale des hôpitaux, qui repose sur quelques grands principes : centralisation du pouvoir administratif, dilution des responsabilités médicales, mutualisation et mobilité du personnel. Cette nouvelle gouvernance ne peut pas être efficace.

Commençons par l'administration. Nicolas Sarkozy voulait qu'à l'hôpital, il n'y ait qu' "un seul patron". La réforme hospitalière qu'il a soutenue a donné les pleins pouvoirs au directeur d'établissement. Ce dernier dispose de nombreux sous-chefs : le directeur des finances, de la qualité, des ressources humaines, de la stratégie, des investissements, de la logistique, de la formation...Une organisation pyramidale très marquée à l'Assistance publique de Paris, qui regroupe 37 établissements placés sous le contrôle de l'administration centrale.
La réforme aurait dû donner aux hôpitaux une certaine autonomie. Mais dans le même temps, tous les établissements ont été mis sous la tutelle des Agences régionales de santé, créées pour planifier les soins selon les besoins géographiques du pays. C'est ainsi que Claude Evin, ancien ministre socialiste, a proposé dés sa nomination à la tête de l'Agence d'Ile de France que dans chaque département un seul bloc opératoire reste ouvert pour les urgences de nuit et de week-end ! Ce simple exemple suffit à comprendre comment un système aussi caporalisé peut rapidement se déconnecter du terrain.
UN MILLEFEUILLE HOSPITALIER
Le pouvoir médical n'a pas été seulement réduit, il a aussi été dilué. Car les services ont été mutualisés en "pôles" d'activité et ne sont plus autonomes. Créés en 2005, les pôles sont des regroupements de services qui sont censés avoir des activités de soins ou de recherche complémentaires. Les responsables de pôles, issus du corps médical, sont nommés par le directeur. Ils établissent un contrat avec la direction pour une durée de 4 ans et se voient attribuer un budget global. L'avenir nous dira si cette mesure aura été efficace sur le plan comptable. Ce qui est certain en tout cas, c'est qu'elle est inutile pour les malades. Aucun patient, aucun médecin de ville ne sait ce qu'est un pôle. Qui aurait l'idée de consulter dans un pôle ? Et surtout, les pôles forment une couche supplémentaire dans le millefeuille hospitalier. Désormais, pour qu'un projet aboutisse il doit passer par le service, le pôle, la faculté, et enfin l'administration.
Qui dit regroupement des services dit mutualisation des moyens matériels et humains. Il s'agit bien sûr de faire des économies. Or, que l'on mette en commun des équipements coûteux est parfaitement justifié. Mais que l'on mutualise le personnel produit des effets catastrophiques. Car la qualité d'un service repose en grande partie sur l'expérience et sur l'implication des paramédicaux. Quand une infirmière change sans cesse de spécialité, elle ne peut ni approfondir ses compétences, ni s'investir au sein d'une équipe. Comment s'impliquer quand chaque poste devient interchangeable et quand les services sont rebaptisés "unités fonctionnelles" ? La mutualisation supprime insidieusement tout engagement personnel, et les soins s'en trouvent dégradés.
Pour couronner le tout, les postes-clefs sont soumis à une grande mobilité. A commencer par le directeur, qui ne reste en place que quelques années. Avec - ce n'est pas rare - des périodes d'intérim de 3 mois !

Un comble, quand on sait qu'à l'Assistance publique il faut jusqu'à 15 ans pour qu'un bâtiment sorte de terre. Cette instabilité a un coût exorbitant, puisque les projets repartent à zéro et le retard s'accumule. L'organisation médicale est également devenue fluctuante. Et quand les pôles sont restructurés, il n'est pas toujours facile d'en percevoir la logique. Notre service d'urologie, par exemple, se trouvait initialement dans le même pôle que la gynécologie. Il a dû quitter la gynécologie pour intégrer le pôle"oncologie et spécialités chirurgicales". On apprend maintenant qu'il doit être transféré dans le bâtiment de gynécologie !
Finalement, l'hôpital est à l'image de notre pays. Paralysé par sa gestion bureaucratique, il peine à concevoir des projets cohérents. Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, il ne s'agit pas d'une dérive naturelle. La gouvernance hospitalière résulte de choix politiques délibérés, qui visent à réduire progressivement l'autonomie des soignants pour pouvoir pleinement étatiser la médecine.

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