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dimanche 28 avril 2013

La beauté féroce des Moches dans le Pérou pré-inca

26 avril 2013

 Exposition. Le musée des Beaux-Arts de Montréal est le premier à offrir trois millénaires d’histoire péruvienne.

Ecorchés vifs, poignardés, égorgés, lapidés ou décapités, voici le sort des hommes, femmes et enfants promis au sacrifice dans les sociétés andines. Ces rituels conservent leur part d’énigme, mais ils bénéficient d’un nouvel éclairage, grâce à toutes les fouilles menées sur la côte nord du Pérou, où les Moches ont régné durant les sept premiers siècles de notre ère.

Ces prédécesseurs des Incas ont développé une telle maîtrise de la technique et des arts qu’on a pu les appeler «les Grecs des Amériques». Leur société est notamment mieux comprise depuis la découverte, par Walter Alva en 1987, de la sépulture du «seigneur de Sipán», l’équivalent de celle du tombeau de Toutankhamon en Egypte. La fouille de cet archéologue péruvien est la plus riche menée sur le continent américain. Pendant un an, prenant de vitesse les pillards, Alva a ainsi exhumé plus de 600 objets, dont de magnifiques parures et instruments cérémoniels en or, avant de fonder sur place, dans la ville de Lambayeque, le Musée des tombes royales de Sipán.
Contrebandiers. Walter Alva, âgé de 61 ans, était présent au musée des Beaux-Arts de Montréal pour le vernissage de l’exposition «Pérou, royaumes du Soleil et de la Lune», qui rend hommage à son travail et à celui de ses pairs. Le conservateur Victor Pimentel a pu emprunter 370 objets, la plupart qui n’étaient jamais sortis des frontières péruviennes. C’est la première fois dans le monde qu’une exposition survole trois millénaires de l’histoire de ce pays. La directrice franco-canadienne du musée, Nathalie Bondil, entend prolonger un cycle sur la formation des identités américaines, entrepris par une mémorable exposition sur Cuba, en 2008. Au cœur de sa démarche : la lutte contre le pillage qui ravage le patrimoine culturel.
Un film documentaire montre un archéologue arpentant, l’air désolé, un vaste plateau dénudé, jonché d’ossements blanchis, seules traces d’une nécropole que des contrebandiers ont abandonnée après avoir anéanti un passé peuplé d’êtres surnaturels. Mi-hommes, mi-animaux, ceux-ci prennent les traits de serpents, félins, rapaces, renards, mygales ou monstres marins. On les retrouve à Montréal, peints sur des poteries ou ciselés sur des bijoux. Œuvre la plus spectaculaire de l’exposition, «el pulpo» représente par exemple une gueule de jaguar en or, entourée de tentacules de pieuvre, terminées en têtes de poisson-chat, en triangles stylisés typiques.
Alva pense qu’«el pulpo» a disparu en 1988 d’une pyramide mochica dévastée. Il est ensuite réapparu dans la collection d’un citoyen germano-costaricien, Leonardo Patterson, qui l’a exposé à Saint-Jacques-de-Compostelle et tenté de le négocier avec le Pérou. Ce dernier le revendique en vain. Remis en vente à Londres en 2006, il est récupéré par Scotland Yard sur un mandat d’Interpol. De retour au pays, «el pulpo» est devenu un symbole de la lutte contre les huaqueros, les pillards de tombes.
Voulant associer beaux-arts et histoire, Nathalie Bondil a rapproché masques et poignards en or ou argent des cérémonies décrites sur les terres cuites. Un dignitaire accoutré en démon boit le sang des suppliciés. Des enfants sont égorgés, les femmes mises au pilori. Certains ont la peau du visage découpée. Il y a une trentaine d’années, l’anthropologue française Anne-Marie Hocquenghem a relié ces atrocités à la régénérationd’une force de vie appelée camacet pratiquée aux grandes dates du calendrier lunaire. Le sang versé a ainsi été rapproché des cycles de pluies dans le Pacifique. Pour Walter Alva, qui voit plutôt ces images comme des allégories, la réalité de ces supplices est toujours objet de discussions.
Cependant, un archéologue canadien de l’université du Texas, Steve Bourget, a récemment exhumé d’une gangue de boue des squelettes de captifs qui avaient été égorgés et démembrés. Cette sauvagerie nous paraît d’autant plus troublante qu’elle est représentée comme étant infligée à des membres de la communauté. Anne-Marie Hocquenghem penchait pour la thèse du châtiment de personnes ayant enfreint les règles. Mais ces scènes sont aussi reliées à des joutes entre jeunes guerriers : il suffisait de faire tomber le chapeau de l’adversaire pour que celui-ci se rende. Ce qui signifie qu’il aurait accepté les tortures devant s’ensuivre… «Au cours des deux dernières décennies, les recherches ont confirmé que ces combats et ces sacrifices ont bien été pratiqués, assez fréquemment, lors de rites dans les grands temples mochicas», écrit Luis Jaime Castillo Butters, professeur à Harvard, dans le catalogue de l’exposition.
Missionnaires. Sous la lueur glacée de la Lune, le même filet de sang continue de briller après l’écroulement de l’empire inca, pour se retrouver dans la peinture doloriste des missionnaires jésuites. Les gisements sont alors utilisés pour des instruments liturgiques, dont témoigne ici un magistral pélican en argent massif et en or du XVIIIe siècle. La férocité des dieux fait place aux diables de l’enfer.
Dans la ville de Cuzco (sud-est du Pérou), les processions religieuses imitent les anciens défilés funéraires. Le même impact visuel se retrouve dans les premières photographies de paysans, alimentant le renouveau «indigéniste» né dans les années 20 chez des peintres comme Enrique Camino Brent et José Sabogal. En 1937, ce dernier part à l’Exposition universelle de Paris présenter des portraits de villageois et des calebasses gravées encombrées de personnages. Dès le milieu du XIXe siècle, en représentant un Indien tenant une urne funéraire antique, Francisco Laso avait annoncé ce retour sur un passé mythifié, dans la quête d’identité impossible d’une nation fragmentée.
Pérou, royaumes du Soleil et de la Lune Jusqu’au 16 juin, au musée des Beaux-Arts de Montréal. Rens. : www.mbam.qc.ca/perou

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