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samedi 2 mars 2013

La Norvège en quête du genre idéal


Par QUENTIN GIRARD Envoyé spécial à Oslo
Dégel. Activités mixtes dès le plus jeune âge, congé paternité bientôt porté à quatorze semaines : du berceau au bureau, le pays scandinave mise sur l’égalité des sexes.

Un enfant dans le parc de Vigeland, à Oslo, le 11 décembre 2010. - photo Reuters. Toby Melville

Dans le froid d’Oslo, en ce petit matin de décembre, les Norvégiens marchent d’un pas décidé tandis qu’on a du mal à rester debout sans glisser ; 8 heures passé de quelques minutes : les derniers parents déposent leurs enfants dans une crèche nichée dans un quartier résidentiel.
Un père tente d’enlever les nombreuses couches de vêtement de son blond bambin qui attend, stoïque. Dans les Barnehager, un mixte entre la crèche et l’école maternelle, «nous essayons de faire en sorte que les pères soient aussi impliqués, c’est mieux pour l’enfant», explique Robert Ullmann, directeur de Kanvas, une fondation privée qui gère 56 crèches à travers le pays. Dans ce quartier plutôt chic de la capitale, les moyens sont confortables. Une grande salle de sport pour jouer presque toute la journée, une petite piscine où les enfants barbotent dès le matin, des salles avec des ateliers où ils sont mélangés. Un même groupe faisant du dessin peut aller de deux à cinq ans.
«Nous donnons aux garçons et aux filles les mêmes opportunités,assure Robert Ullmann. Il est facile pour les adultes d’avoir des systèmes d’éducation prédéfinis selon les sexes. Nous essayons d’éviter cela. Si un garçon veut se déguiser en princesse, il peut.»
Le gouvernement norvégien, une coalition de gauche au pouvoir depuis 2005, a fait de l’égalité des sexes à tous les niveaux de la société un de ses combats pour sa politique intérieure, mais aussi pour son image extérieure. Le «gender» est devenu un argument de communication de leur économie prospère, un peu plus sexy que l’exploitation du pétrole dans le grand Nord (1).
Avancées. «Pour nous, l’égalité hommes-femmes est une source de prospérité», défend Inga Marte Thorkildsen, 36 ans, ministre des Enfants, de l’Egalité et de l’Intégration sociale. Elle est membre d’un gouvernement aux mœurs un peu étranges pour les Français : quand chez nous, Rachida Dati est retournée travailler deux jours après avoir accouché, ici, les ministres masculins n’hésitent pas à prendre de longs congés de paternité. Ces pratiques nordiques paraissent toujours un peu difficiles à croire, même quand on a regardé Borgen, la série politique danoise.
En juillet, le congé paternité passera de douze à quatorze semaines, sur un total de 49 semaines à partager entre les deux parents, payées à 100% (ou 59 semaines à 80%). «Rien n’oblige le père à les prendre, mais s’il n’en veut pas, elles sont perdues, la mère ne peut pas les récupérer», raconte Inga Marte Thorkildsen. Des avancées dues à la gauche qu’elle n’imagine pas remises en cause, même s’il devait y avoir une alternance. «Comme le mariage pour les personnes du même sexe instauré en janvier 2009, ces réformes sont entrées dans les mœurs», espère-t-elle.
Chez Opera Software, éditeur de logiciel surtout connu pour son navigateur de recherche, on incite fortement le personnel, très majoritairement masculin, à en profiter. «En plus de ce qui est légal, on offre deux semaines payées par l’entreprise, explique Zara Lauder, du service communication. Il est important que le père crée un lien avec ses enfants, il sera plus efficace au travail.»Mathieu Henri, 33 ans, développeur Javascript, est français. Il est venu travailler à Oslo, attiré par le salaire et les conditions de vie. «Quand je veux partir plus tôt, à 15 h 30, pour aller chercher ma fille de deux ans, je peux, raconte-t-il. Après, si je dois finir de travailler à la maison, je le fais, mais ça marche bien.»
Si ce congé paternité paraît généreux, peu encore en profitent vraiment. Presque tout le monde s’accorde au moins quelques jours, mais seuls 27% prennent la durée totale. Il est pourtant possible de répartir ce temps alloué lors des trois premières années.
Dans le discours, la Norvège se dirige vers un monde parfait d’égalité. Dans la réalité, il reste encore du chemin à parcourir : 80% des femmes travaillent entre 16 et 66 ans (59% en moyenne dans l’Union européenne), mais 40% d’entre elles sont à mi-temps, contre seulement 13% des hommes. Et ils continuent de gagner plus. «Le mi-temps a été très important pour les femmes pour intégrer le marché du travail depuis trente-cinq ans, analyse Arni Hole, directrice générale du Service de la famille et de l’égalité entre les femmes et les hommes au ministère de l’Egalité.Mais maintenant, nous voulons les pousser à travailler à temps plein et à prendre des postes de direction
Hiérarchie. Le bâtiment moderne de la Næringslivets Hovedorganisasjon (NHO), la confédération des entreprises norvégiennes, l’équivalent du Medef, se dresse près du célèbre parc de sculptures de Vigeland, un peu à l’écart du centre. Dans cette atmosphère presque bucolique, l’organisation a mis en place le programme Female Future. Les entreprises membres du NHO peuvent proposer aux employées en qui elles croient une formation afin de progresser plus rapidement dans la hiérarchie. 1 300 femmes en ont profité depuis le lancement, en 2003, telle Beate Skjerven Nygardshaug, qui travaille pour la société d’investissement Kistefos en tant que responsable des affaires juridiques. «On rencontre d’autres femmes actives et dynamiques,explique-t-elle, très contente d’y avoir participé. On apprend à être plus confiante en soi, c’est important que le secteur privé se mette aussi à l’égalité hommes-femmes.» Peu de temps après avoir pris part à ce programme, elle a bénéficié d’une promotion.«Je pense que cela m’a permis de gagner du temps», estime-t-elle.
«Droit de "chasser"». Mais ces changements, progressifs, ont-ils un effet bénéfique sur l’économie et la société ? Pour la croissance, difficile de savoir. Aucune corrélation, positive ou négative, n’a été observée entre le nombre de femmes à des postes de direction et les résultats d’une entreprise. Le professeur Pål Schøne, de l’Institutt for samfunnsforskning (l’Institut pour la recherche sociale), rappelle «que les changements sont très lents. Il y a en majorité des hommes à la tête des groupes et les femmes continuent surtout de travailler dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la propreté».
Ces mesures semblent tout de même faire évoluer petit à petit le rapport entre les sexes en société. Pour la drague, par exemple.«Si tu veux un garçon, tu l’abordes et cela ne le gênera pas»,raconte Malin, 26 ans, attablée dans un bar du centre-ville avec son amie Ida, 30 ans, ambiance rock et bière locale. «Bien sûr, ce n’est pas toujours la fille qui agit en premier, mais tout le monde a le droit de "chasser", ce n’est pas mal vu», continue-t-elle. Pour Kevin, 31 ans, installé un peu plus loin, «être le chassé est plutôt agréable. Tu n’as rien à faire, c’est pratique, mais après si la fille n’est pas très jolie, des fois tu ne sais pas trop comment t’en sortir». Helge, 35 ans, n’est pas tout à fait d’accord. «Moi, je suis marié car j’ai fait le premier pas et heureusement ! explique-t-il.Comme tout le monde peut en théorie draguer tout le monde, au final on attend que ce soit l’autre qui prenne l’initiative et il ne se passe rien», argumente-t-il. A ses côtés son ami Andreas, 36 ans, pas vraiment convaincu par toutes ces histoires, bougonne dans sa barbe : «Sur le papier, elles veulent l’égalité, mais dès qu’un Européen du sud vient les draguer, elles sont très contentes !»
(1) Ce reportage a été réalisé lors d’un voyage de presse sur la «rentabilité de la parité hommes femmes» organisé par l’ambassade de Norvège.

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