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jeudi 21 mars 2013

Buenos Aires et la psychanalyse : chronique d’un amour inévitable

20 mars 2013

Un jour, faisant référence au bandoneón - instrument d’origine allemande - le poète Horacio Ferrer a dit qu’il n’était rien d’autre qu’un «oiseau wagnérien ayant nidifié à Buenos Aires parce qu’il avait senti qu’ici l’attendait Pichuco» (1).
De la même façon, j’ai souvent réfléchi aux raisons de cet amour, de cette passion qui unit Buenos Aires à la psychanalyse. Je me permets d’oser une hypothèse peut-être plus poétique que véridique, mais que, même ainsi, j’aimerais partager avec les lecteurs. Après tout, la liberté de me tromper et de penser me soutient.
Mon hypothèse est la suivante :
Buenos Aires est une terre faite d’absences. Fille de l’immigration d’étrangers qui, fuyant la guerre ou la pauvreté, abandonnaient leurs pays, leurs familles, leurs amis et leur langue pour chercher ici un espace où réaliser leurs rêves, elle s’est bâtie comme un lieu habité par une conscience imperceptible mais efficace : vivre signifie accepter le manque et surmonter la perte.
A cette immigration étrangère, une autre s’est ajoutée, l’immigration intérieure, celle d’hommes qui, ne trouvant pas dans leurs villages de quoi travailler pour vivre dignement, se sont agglutinés à «la capitale». Ainsi, est née une population faite de personnes dont le point commun était d’avoir laissé - près ou au loin - leurs sentiments, leurs manières de parler, leurs proches et jusqu’à l’odeur de leur terre.
Cela, ce n’est pas facile. Les Grecs savaient déjà que le pire des châtiments n’est pas la mort, mais l’exil ; ce jugement qui condamne quelqu’un à vivre dans un lieu dont il ne fait pas partie et où il ne se reconnaît pas lui-même.
Si bien que nous avons dû aménager un lieu commun à tous, un style propre où le besoin affectif nous a rendus sensibles à la douleur lointaine, où l’étreinte et le «maté» (2) se sont transformés en une cérémonie de respect silencieux face à l’apparition de l’angoisse ; et ainsi, peu à peu, nous avons construit une série de rituels partagés qui constituent notre manière d’être.
Il n’est donc pas si surprenant que, dans une terre abonnée aux larmes de ce qui est perdu et au désir de ce qui adviendra, la psychanalyse ait trouvé sa terre promise. Aujourd’hui, dans une époque vouée à la pensée facile, au lieu commun, au «tu peux», à l’éloge du succès à tout prix et à l’horreur de la douleur, la psychanalyse se dresse contre les idéaux dominants, essayant de sauvegarder l’humain, le profond, le vrai. Elle s’éloigne des recettes et se concentre sur le sujet unique, celui qui s’étend sur le divan et qui, partant de sa propre douleur, interroge les choses les plus complexes de la vie, les seules vraiment importantes : mort et sexualité.
(1) Anibal Troilo, alias «Pichuco», fut le joueur argentin de bandonéon le plus célèbre de tango. (2) Le «maté» est une infusion - ressemblant au thé - typique de l’Argentine. On le boit dans un récipient (fait de bois ou d’une calebasse) avec une bombilla (sorte de pipette en métal, ndt). On remplit régulièrement ce récipient avec de l’eau chaude et on se le passe, créant ainsi une ronde qui répartit la conversation et le silence.
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Philippe Lançon

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