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lundi 11 février 2013

L'altruisme éclairé par un séisme


LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 07.02.2013


L'effet du séisme sur les enfants variait selon l'âge. Ceux de 6 ans se sont montrés plus égoïstes, leurs dons se réduisant d'un tiers. Mais ceux de 9 ans étaient trois fois plus généreux après la catastrophe.
L'effet du séisme sur les enfants variait selon l'âge. Ceux de 6 ans se sont montrés plus égoïstes, leurs dons se réduisant d'un tiers. Mais ceux de 9 ans étaient trois fois plus généreux après la catastrophe. | GETTY IMAGES/AFP

Face à l'adversité, qu'advient-il de l'altruisme, un des piliers du développement des sociétés humaines ? Une étude menée chez l'enfant, avant et après une catastrophe naturelle, livre des réponses étonnantes. "L'ensemble des études de laboratoire montre que les enfants sont naturellement altruistes", relève Jean Decety, professeur de psychologie et psychiatrie à l'université de Chicago. Mais aucune étude n'a été réalisée dans des conditions naturelles.
Le 12 mai 2008, une catastrophe a brutalement fait irruption dans les expériences des chercheurs. Ce jour-là, un séisme de magnitude 7,9 ravage la province de Sichuan, à l'est du plateau du Tibet. Plus de 87 000 personnes périssent.
Mais, avant le désastre, une étude sur l'altruisme infantile était menée sur place par une équipe internationale associant Jean Decety, deux universités chinoises et l'université de Toronto.
"Nous avons décidé d'adapter cette étude pour évaluer l'impact de ce séisme sur l'altruisme des enfants", explique Jean Decety. A première vue, cet opportunisme peut choquer : quels ont été l'altruisme et l'empathie des chercheurs vis-à-vis des enfants frappés par la tragédie ?
"POPULATION TRÈS VULNÉRABLE"
"La recherche a-t-elle le droit de s'intéresser aux comportements émotionnels d'enfants après un tel traumatisme ? Si oui, comment aborder ce sujet, à l'impact évident sur le développement normal et pathologique ? s'interroge Eric Brunet, psychiatre au centre hospitalier de Versailles. Les auteurs semblent avoir été attentifs à ne pas induire de traumatisme supplémentaire dans cette population très vulnérable."
Accord d'un comité d'éthique universitaire, approbation par les enseignants, entretien individuel de chaque enfant avec un psychologue clinicien : telles sont les précautions décrites dans l'étude à paraître dans Psychological Science.
Avant le séisme, les chercheurs étudiaient les comportements de partage de 30 enfants de 6 ans et de 30 enfants de 9 ans scolarisés dans deux écoles rurales. L'analyse reposait sur le jeu dit "du dictateur" : les chercheurs demandaient aux enfants de choisir dix autocollants parmi cent. Puis ils leur disaient qu'ils pouvaient choisir d'en redonner une partie, de façon anonyme, à leurs compagnons de classe ne participant pas au jeu - à l'insu de l'expérimentateur. Un mois après le séisme, les chercheurs ont procédé au même test chez 30 autres enfants de 6 ans et 30 de 9 ans des mêmes écoles. Puis, trois ans plus tard, chez 60 enfants des mêmes âges et écoles.
"RÉSULTAT CONTRE-INTUITIF"
Avant le séisme, les enfants de 6 ans et 9 ans montrent la même "générosité", offrant en moyenne un ou deux autocollants. Mais, un mois après le séisme, alors que 95 % des enfants sont sans domicile et que 2 % ont perdu un membre de leur famille proche, "les effets observés sont très différents selon l'âge. Les enfants de 6 ans sont un peu plus égoïstes, leurs dons se réduisant d'un tiers. Mais les "grands" de 9 ans sont trois fois plus généreux", explique Jean Decety. Trois ans après, ces comportements aux deux âges sont revenus à la normale.
"Le résultat juste après le séisme est contre-intuitif : on aurait pu croire que, chez tous les enfants, ce traumatisme émousserait les réactions altruistes, estime Nicolas Danziger, chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale et neurologue à la Pitié-Salpêtrière.Cela montre à quel point les comportements prosociaux sont ancrés dans l'être humain." "Sans ce souci de l'autre, notre espèce n'aurait pas survécu", renchérit Jean Decety.
"Altruisme" : le mot a été inventé par Auguste Comte en 1851, pour désigner le souci désintéressé du bien d'autrui. Ce concept a fondé la "morale positiviste" du philosophe : il en fera la base de son humanisme. Dans les années 1960, Paul MacLean postule que, chez l'homme, le développement marqué du néocortex, relié au système limbique, serait la base neurophysiologique de cet altruisme.
"AIDE CIBLÉE À AUTRUI"
"Les comportements d'aide ciblée à autrui sont l'apanage des hominidés et de certaines espèces comme le dauphin ou l'éléphant",précise Nicolas Danziger. A l'inverse, pour Jean Decety, les comportements d'aide envers autrui existent dans l'ensemble des espèces sociales, que ce soit chez les insectes ou chez les chauves-souris, sans être le propre de l'espèce humaine. Ces comportements ont un avantage évolutif pour la survie de l'individu et du groupe.
Comment expliquer la différence entre les deux âges ? "A 6 ans, l'enfant a plus de difficulté à réguler ses émotions, car son cortex préfrontal n'est pas mature. Après un traumatisme, il se replie sur lui-même, analyse Jean Decety. Le cerveau d'un enfant de 9 ans, en revanche, est suffisamment mature pour réprimer ses sentiments négatifs." D'où vient cette capacité humaine de donner à autrui ? "Dans les années 1990, Daniel Batson a supposé que le moteur de l'altruisme est l'empathie, cette motivation à prendre soin de l'autre", indique Eric Brunet.
Trois ans après le drame, les auteurs de l'étude ont mené une seconde expérience. Ils ont présenté vingt photos du séisme ou vingt photos neutres à 123 enfants de 6 à 9 ans venant de la région touchée par le séisme, et à 128 enfants venant d'une région non touchée. Puis ils ont testé leur générosité par le jeu des autocollants. En parallèle, ils ont mesuré leur empathie.
Résultats : chez l'enfant de 6 ans, nulle différence selon la région, ni selon la vue, ou non, des photos du séisme. Mais l'enfant de 9 ans était plus généreux après avoir vu les photos du séisme, quelle que soit sa région. Et sa générosité était corrélée à son niveau d'empathie.
"Qu'aurait donné cette étude menée chez l'adulte ?", s'interroge Nicolas Danziger.

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