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dimanche 2 décembre 2012

Comment le personnel hospitalier perçoit les Roms

1 décembre 2012

Une chercheuse a enquêté sur la relation parfois compliquée entre les soignants et les patients roms. Des témoignages qui reflètent aussi les idées reçues autour de cette population.

Commission Stasi (2003), débats sur l’identité nationale et le voile intégral dans les lieux publics (2009 et 2010)... à chaque crispation autour des enjeux de «communautarisme» ou de «repli identitaire» l’hôpital cristallise l’attention. Lieu ouvert sur la société, et que tout le monde fréquente un jour ou l’autre, «c’est une caisse de résonnance privilégiée des débats publics», estime Dorothée Prud’homme. Forte de cette conviction la chercheuse (lire son interview à Libération.fr) a interrogé, dans le cadre de son travail de terrain pour sa thèse de doctorat, des professionnels hospitaliers dans quatre établissements publics d’Ile-de-France (personnel médical, paramédical, administratif). L’idée directrice était notamment de recueillir une parole libre sur leur perception de la population Rom et leur interprétation des usages que les patients roms font de l’hôpital.

Avant tout, de qui parle-t-on ? Quand on lui demande à quoi il reconnaît les Roms, ce médecin des urgences répond : «Ben... un peu le physique et puis le fait qu’ils soient souvent en groupe (rires), c’est un peu bête hein, mais souvent ils viennent pas seuls, il y a toute la famille ou y’a le mari et l’enfant qu’est là aussi. Euh… et puis le fait que ils expliquent où ils habitent, enfin à Montfermeil, en l’occurrence c’était dans le camp. A Poissy aussi il y a un camp. Et sinon il y a la langue aussi, et c’est tout. Mais après j’ai l’impression que c’est des clichés quoi. Si ça se trouve, il y a des Roms que j’ai soignés mais qui n’étaient pas identifiables et du coup je ne m’en souviens pas ou voilà.» (1) Une définition assez caractéristique de ce qu’on peut entendre à l’hôpital à propos des Roms: ils vivent «en famille», habitent dans des «camps» et parlent peu français. Rien de très clair finalement.

«Il y a le barrage de la langue»

En revanche, lorsqu’il s’agit de parler des difficultés rencontrées lors de la prise en charge de ces patients, les énumérations se font plus précises. Tout d’abord, «il y a le barrage de la langue parce que, malheureusement, souvent, ils parlent très, très peu français, ils parlent pas tellement anglais, donc, souvent ils viennent avec des enfants qui sont plus ou moins scolarisés donc l’enfant nous explique plus ou moins. On essaye, on leur montre, par gestes, […] si elles sont enceinte de combien elles sont enceintes, on prend un calendrier, on essaye d’expliquer», dit une aide-soignante des urgences gynéco-obstétrique. Les soignants ont l’habitude de ces bricolages, mimes et balbutiements dans différentes langues étrangères: les Roms sont loin d’être les seuls patients à ne pas parler français.
Une infirmière des urgences s’attarde sur le critère «familial» : «Des patients roms, c’est un patient rom avec toute la famille derrière, donc ça c’est assez difficile à gérer parce qu’ils sont très envahissants. Au niveau culturel, c’est vrai que, eux, ils ont beaucoup le sens famille, donc si on a un patient, on a cinq ou six personnes de sa famille qui suivent, et en fin de compte ils ne comprennent pas que la famille doit rester la plupart du temps en salle d’attente, et qu’on ne donne les informations qu’une fois qu’on les a, mais qu’ils peuvent pas être autour du brancard, scotchés comme ça, c’est pas possible.» Certains y voient une contrainte professionnelel, d’autres un atout pour le patient : «Je trouve que c’est une communauté unie. La preuve c’est que quand ils ramènent un patient, c’est tout le monde qui vient avec, quand un patient est hospitalisé tout le monde vient le voir», dit un aide-soignant.

«Clairement, il a pas de papiers»

Un troisième type de difficulté est mis en avant par le cadre d’un service d’urgences : «La règle d’or c’est, pour venir t’enregistrer ici, comme toutes les urgences, il te faut un minimum de papiers, ta carte vitale et une pièce d’identité. Très souvent j’ai pas la pièce d’identité […] et la carte vitale… […] y’en a quelques-unes qui se baladent et […] ils se refilent les cartes. […] Quand tu regardes, j’ai un patient, il est venu la même semaine, pour une grippe, et un problème de ventre, et un problème de pied, et un… Tu dis : "Mais c’est pas vous que j’ai vu hier?", "Non, c’est pas moi", "Ah bon, mais pourquoi c’est le même dossier ?", "Ah, vous avez dû vous tromper", "Oui, c’est ça ! C’est bizarre, c’est le même numéro de sécu quand même". Bon, puis y’en a certains qui sont carrément francs avec toi : "J’ai mon cousin qui vient de Roumanie", clairement il a pas de papiers». La peur de se faire expulser pousse ainsi de nombreux étrangers en situation irrégulière à produire des cartes de CMU appartenant à l’un de leur proche dans le but d’obtenir des soins qu’ils ne pourraient payer autrement. Pourtant, comme le répètent tous les professionnels hospitaliers, avec ou sans papier en règle, les services d’urgences accueillent tout le monde.
Finalement ces difficultés ne sont que le reflet de la précarité sociale et économique de la majorité des Roms en France. Une assistante sociale raconte: «On a eu une famille, c’était très, très compliqué parce que aucun respect des règles de l’hôpital, c’est-à-dire qu’il y a toute la famille qui venait se doucher à la maternité, ils venaient, c’était infernal […] franchement ouais, même nous qui sommes assistantes sociales, on a l’habitude, il y a un moment donné on leur a dit "Non, c’est plus possible" quoi, ils prenaient les urgences pour un accueil de jour, ils venaient là pour se laver les dents, changer le bébé.» D’autres soignants racontent comment les familles roms demandent à passer la nuit dans la salle d’attente des urgences faute de place au 115. Souvent les soignants comparent les Roms aux SDF ou aux toxicomanes pour leur dépendance vis-à-vis des services de base fournis par l’hôpital, comme les plateaux-repas, l’hébergement ou les soins d’hygiène.

«Ils donnent une adresse bidon»

Enfin, la réputation de profiteurs ou de voleurs poursuit les Roms jusqu’à l’hôpital. Alors que les soignants sont nombreux à décrire les Roms comme une population nomade ou vivant dans des  «bidonvilles», certains s’étonnent qu’ils ne puissent fournir d’adresse postale et font le lien avec la facturation des soins : «Souvent malheureusement, [ils] arrivent avec juste une pièce d’identité, en disant "Non, c’est plus ma bonne adresse", donc on se retrouve avec des fausses adresses, et des faux numéro de téléphone, donc après, pour les rappeler si on a un souci et qu’on doit les rappeler, ben voilà, ça arrive malheureusement souvent ça. Pour ne pas payer voilà, [ils] donnent une adresse bidon, un téléphone bidon et puis voilà», explique une infirmière du service maternité.
Pour expliquer ce qu’elle ressent comme une méfiance de la part des patients roms vis-à-vis de l’institution et des professionnels qui y travaillent, une infirmière pose la question de la discrimination raciale à l’hôpital : «Peut être que les patients roms ont l’impression qu’en fin de compte, on va moins s’occuper d’eux, on sera peut-être moins exigeants, mais je ne sais absolument pas pourquoi puisque […] nous, on a exactement la même attitude vis-à-vis de tout le monde hein, heureusement, c’est le but aussi de l’hôpital, c’est pas non plus, y’a pas de ségrégation, y’a pas, c’est l’hôpital public, voilà, mutuelle, pas de mutuelle, sécu, pas de sécu, nous, on prend tout le monde, les soins seront fait exactement de la même manière, moi j’ai souvent aussi l’effet inverse, on me dit "Mon fils est médecin", alors pour moi ça ne change rien, ou "Je suis chirurgien", le chirurgien comme le SDF aura exactement le même niveau de soin, ça il faut que ça soit quand même dit». Quelle que soit l’idée que les soignants se font des patients roms, l’égalité de traitement demeure la valeur centrale de leur travail quotidien.

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