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mercredi 12 décembre 2012

Art brut, entrez libres !

PAR HENRI-FRANÇOIS DEBAILLEUX
Sept cents œuvres extraites d’une collection anglaise d’artistes au mental décalé est présentée dans une école parisienne désaffectée.

Dessins et peintures de Joseph Karl-Radler. - Photo Nicolas Krief
Henry Darger (1892-1973) était concierge et accessoirement, ou plutôt principalement si on se place du point de vue de son lit, aquarelliste : il avait pris l’habitude de dormir sur sa chaise pour mieux étaler ses peintures sur sa couche. Sœur Gertrude Morgan, née avec le XXe siècle, a consacré l’essentiel de ses quatre-vingts ans d’existence à évoquer sur des cartons la vision qu’elle eut un jour de ses épousailles avec Jésus. Royal Robertson, père d’une dizaine d’enfants, a passé une bonne partie de sa vie à peindre sur les murs extérieurs de sa maison ce qui pourrait arriver à son ex-épouse envolée. Il est mort en 1999, à l’âge de 63 ans. Alan Constable, né en 1956, est aveugle. Il sculpte obstinément des appareils photo en céramique. ACM, de cinq ans son aîné, construit des cathédrales avec des morceaux de vieilles machines à écrire et des postes radio qu’il collectionne et peint…
Extraites de la fabuleuse collection «The Museum of Everything» rassemblée par l’Anglais James Brett, riche de 7 000 pièces, ce sont 700 œuvres hallucinées de 70 artistes «alternatifs» qui sont présentées sur les 1 000 mètres carrés d’un lieu également déjanté, à Paris : un immeuble en fond de cour, boulevard Raspail, ancienne école tout en brique avec escaliers extérieurs, à la new-yorkaise.

L’adéquation du contenant et du contenu

L’événement, exceptionnel, est signé Marc-Olivier Wahler, 48 ans, natif de Neuchâtel, en Suisse, qui a déjà à son crédit plus de vingt ans dans les institutions de l’art contemporain. Conservateur au musée des Beaux-Arts de Lausanne en 1992, il participe à la création du musée d’Art moderne et contemporain de Genève, le Mamco, puis du Centre d’art de Neuchâtel, le Can, qu’il va diriger jusqu’en 2000, année où il devient directeur du palais de Tokyo à Paris, un poste qu’il a quitté en février. Avec cette étonnante exposition, il lance la première manifestation de son association, «Chalet Society», destinée à répondre à ses deux obsessions.

La première est de créer une adéquation entre les œuvres d’art contemporain et le lieu qui les accueille - le contenant et le contenu, en quelque sorte - tout en veillant à être le plus proche possible de la temporalité des artistes. «J’estime que l’institution doit être un outil à la disposition des artistes, le plus flexible et réactif possible. Les artistes ont leur vitesse de création et l’institution la sienne, plus lente à cause de ses nombreuses contraintes. Ce différentiel crée un fossé que je tente de combler au mieux», précise-t-il.
Sa seconde obsession concerne la place des différents arts. Pour s’en expliquer, Marc-Olivier Wahler aime à se référer à Jacques Haynard. Celui qui fut longtemps directeur du musée d’ethnographie de Neuchâtel a, dit-il, «révolutionné la muséographie en cassant hiérarchie et catégorie, montrant une pièce ethnographique africaine à côté d’un objet usuel européen, un art assez élitiste en face d’un art populaire».

Artistes marginaux ou en institution psychiatrique

L’exposition du boulevard Raspail se devait d’être une illustration de ces deux propos qui animeront aussi les futures manifestations de Chalet Society, prévues dans le monde entier. Pour cette première parisienne, Marc-Olivier Wahler a choisi de présenter cette collection d’œuvres d’art brut, réalisées hors les circuits habituels de la culture par des artistes marginaux, parfois même résidant en institution psychiatrique. Il a aussi trouvé le lieu idoine, prêté gracieusement pour un peu plus d’un an par son récent acquéreur, Laurent Dumas, président du groupe Emerige, spécialisé dans l’immobilier, et par ailleurs collectionneur et mécène. Quatre étages où chaque artiste trouvera sa place dans des salles de classe désaffectées aux murs bruts, peintures d’époque, blanches ou criardes.
Restait à financer l’événement, une opération réfléchie notamment avec Virginie Epry et Pascale Cayla de l’agence d’art contemporain l’Art en direct : les 200 000 euros nécessaires seront collectés auprès d’entreprises, de particuliers, de passionnés.
Enfin, souhaitant que l’art soit accessible au plus grand nombre, Marc-Olivier Wahler a décidé de proposer à chacun d’entrer librement et de donner ce qu’il voulait. Ouverte le 17 octobre, l’exposition enregistre en moyenne 750 visiteurs par jour le week-end. La fermeture de ses portes, prévue initialement le 16 décembre, est repoussée au 10 janvier.
THE MUSEUM OF EVERYTHING 14, boulevard Raspail, 75007 Paris. Du mercredi au dimanche, de 11 heures à 19 heures. Jusqu’au 10 janvier 2013. Rens. : 01 55 35 25 12 et www.musevery.fr/

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