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mercredi 7 novembre 2012

«Augustine», psy causes

Par DIDIER PÉRON
Hosto . Alice Winocour retrace les relations troubles entre le professeur Charcot et son cobaye.
«Les femmes qui entraient à la Salpêtrière […] appartenaient à la catégorie des servantes nerveuses ou surmenées ; ou des concierges, lectrices de faits divers ; ou des filles ; ou de petites "Bovary" bourgeoises, désireuses de se rendre intéressantes, et qui avaient entendu parler du mal à la mode…» Le ton méprisant de l’article de Léon Daudet, qui avait assisté avec son père, Alphonse, aux fameuses présentations de malades hystériques organisées tous les mardis par le professeur Charcot dans son service, en dit long sur l’état d’esprit de nombreux observateurs de l’époque.
Alice Winocour, 36 ans, signe avec Augustine un premier film qui revient sur ce moment fascinant de la psychiatrie au seuil de la psychanalyse (Freud sera brièvement l’élève de Charcot et son traducteur en allemand) qui se noue dans la relation entre le grand praticien, mondialement célèbre, détenteur de la première chaire de «maladie du système nerveux» (créée en 1882 à Paris), et ses patientes convulsives, toujours plus nombreuses et pâmées, atteintes de diverses paralysies, insensibles à la douleur en certaines parties de leur corps mais sans lésion ou pathologie organique.
En fait, Jean-Martin Charcot (1825-1893) est confronté à un fouillis de symptômes mal définis échappant aux classifications nosographiques. Et c’est parce qu’il désire trouver une chronologie invariante des attaques et créer un tableau complet des postures et des crises désormais qualifiées d’«hystériques» qu’il se met à photographier ses malades et à les exposer à un public toujours plus nombreux pour des séances d’hypnose et de tétanie sur estrade.
Ceinture médiévale. Augustine, bonne à tout faire, rentre à la Salpêtrière à l’âge de 16 ans, et elle y restera cinq années de suite avant de prendre la fuite, déguisée en homme. Elle est l’une des jeunes malades les plus abondamment prises en photo, une vraie vedette régulièrement exhibée en raison du rendu exceptionnel de ses états de catalepsie et son émotivité a priori obéissante. Mais la question se pose bientôt pour les plus sceptiques de la pureté d’une telle méthode médicale qui croise l’expérience de laboratoire, la foire aux monstres et le numéro de cabaret en surchauffe, «des femmes quasi nues abandonnées aux regards d’hommes en costume trois-pièces», comme le dit fort bien la cinéaste.
S’inspirant donc de faits réels, le film construit une fiction qui relate avec une grande économie de moyens ce moment ambigu où l’homme de science, censé guérir sa jeune malade, ne cesse en réalité de lui demander de perdurer dans sa pathologie qui seule peut lui octroyer les subsides de l’Académie de sciences et une notoriété toujours plus retentissante. L’emprise du professeur sur la petite servante, de celui qui sait sur celle qui souffre (et ne comprend rien), se trouble. Augustine lui pose des questions sur l’issue des soins, mais, quelques scènes plus loin, la réponse du médecin tient - ô surprise ! - en une ceinture médiévale pour compresser les ovaires et dont l’utilisation ressemble ici à une scène de viol torve dans un film SM japonais.
Lacan disait que l’hystérique est celle qui se donne à elle-même le rôle d’obstacle, celle dont la jouissance consiste à empêcher la réalisation du désir. Cette théorie est payante si on l’applique au film, car Augustine renverse en effet la situation qui la distribue en créature passive toujours plus profondément enfoncée dans l’obscurité de ses affects. On la voit soudain provoquer sexuellement Charcot après l’avoir, en une fraction de seconde, privé de tout son savoir, lui révélant qu’il n’était qu’un empereur dupé par ses troupes au pied d’une pyramide d’énigmes et de feintes.
«La médecine de l’hystérie vivrait-elle dans le risque ? Le risque d’un charme ? Un charme, oui. A la Salpêtrière, cet enfer, les hystériques n’ont pas cessé de faire de l’œil à leurs médecins. Ce fut une espèce de loi du genre, non seulement la loi du fantasme hystérique (désir de captiver), mais encore la loi de toute l’institution asilaire elle-même. Et je dirai que celle-ci avait structure de chantage : en effet, il aura fallu que chaque hystérique fasse montre, et régulièrement, de son orthodoxe "caractère hystérique" (amour des couleurs, "légèreté", extases érotiques…) pour ne pas être réaffectée au "Quartier", très dur, des toutes simples et incurables aliénées», écrit Georges Didi-Huberman dans son Invention de l’hystérie (1982).
Château romantique. Ce «charme» empoisonné, Alice Winocour le restitue dans la trame intimiste d’une reconstitution hantée qui ne cherche pas inutilement à exagérer le théâtre de la cruauté de la folie douce dont la Salpêtrière aurait été le décor. L’hôpital est montré comme un château romantique noyé dans la brume, une maison Usher de la maladie mentale quelques heures avant l’écroulement final.
Vincent Lindon joue Charcot comme on marmonne à l’envers des vérités qui ne demandent qu’à être démenties, et la chanteuse-comédienne française Soko est une Augustine ressentie au plus près d’un tempérament imprévisible, tour à tour introverti et explosif. Signalons qu’il existe un moyen métrage en noir et blanc intitulé lui aussi Augustine et sur le même sujet, produit en 2003 et sorti en décembre 2011, cosigné Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat qu’on peut trouver sur certaines plateformes VOD.
AUGUSTINE d’ALICE WINOCOUR avec Vincent Lindon, Stéphanie Sokolinski (Soko), Chiara Mastroianni… 1 h 42.

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