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lundi 8 octobre 2012


Les frontières du vivant

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 
La mondialisation avec sa standardisation effrénée, ses moyens de communication toujours plus efficaces imagés par cette « toile » ou ce « village planétaire » (pour ceux qui y ont accès), qui s'affranchit des frontières géographiques, côtoie de nouveaux murs, de nouvelles frontières, sociales, économiques, culturelles, rigides, difficiles à estomper, suscitant ou découlant de la peur de l'autre, de la peur du temps d'après, quelquefois motivé par la nostalgie du temps passé.
En biologie aussi, la notion de frontière est importante. Entre « soi » et « non soi » ou entre inerte et vivant, par exemple. Le concept du vivant a longtemps été exclusif. Une entité était vivante ou ne l'était pas. Macroscopiquement, nous savons distinguer ce qui est vivant de ce qui ne l'est pas. Un arbre, un animal sont vivants, un caillou ne l'est pas. Cette distinction binaire entre vivant et non vivant se complique à l'échelle microscopique. Ne parlons pas de l'échelle atomique, où les frontières s'estompent pour laisser place à l'énigme d'un continuum qui s'impose plus qu'il ne s'explique. Les sciences du vivant nous apprennent que les conceptions purement dualistes ne sont pas tenables, des « zones grises » étant de plus en plus mises en évidence.
Les virus par exemple ne sont pas présents au sein de l'arbre du vivant tel qu'il a été constitué par la communauté scientifique. Bien que présents dans tous les biotopes, dans tout le monde vivant, ces entités biologiques restent "sans classification fixe". Sont-ils vivants ? Sont-ils inertes ? Le débat n'est pas clos pour ceux qui conservent cette vision dualiste.
Les connaissances que nous avons acquises ces dernières années en biologie nous permettent de mieux comprendre l'émergence de la vie sur notre planète. Nul besoin de faire appel à des propriétés mystérieuses pour l'expliquer. Une auto-organisation de briques élémentaires peut rendre compte d'une complexité croissante jusqu'à l'émergence de nouvelles propriétés tel que le vivant dont l'une des caractéristiques fondamentales est celle d'être un processus dynamique, en constante évolution.
« Rien n'est vrai, tout est vivant » disait le poète du tremblement et de la relation, Edouard Glissant. Si mystère il y a, il se trouve dans l'imprévisible, l'inattendu, l'inimaginable associé au vivant. L'émergence de la cellule constitua un de ces inattendus. Qu'est-ce qu'une cellule ? L'unité de base des formes de vie sur notre planète. Un « sac » délimité par une membrane qui définit un intérieur, celui de la cellule avec ses nombreux constituants et un extérieur, le milieu dans lequel s'inscrit cette cellule.
Mais pas n'importe quelle membrane. Celle-ci n'est pas hermétique, elle est poreuse, une multitude de « portes » microscopiques qui s'ouvrent ou se ferment dans certaines conditions lui permet d'échanger avec son milieu, y compris avec d'autres cellules. Elle est souple, dynamique, une véritable « mosaïque fluide ».
Cette membrane, ce lieu de passage, permet à la fois de maintenir la forme de la cellule, son identité en quelque sorte, assure les échanges entre l'intérieur et l'extérieur, dans les deux sens, tout en participant avec d'autres constituants cellulaires au maintien de son homéostasie, un ensemble de paramètres physicochimiques internes qui la caractérisent.
Ces échangent se font quelquefois au détriment de la cellule, c'est le risque. Car tout dépend de ce qui est échangé. « Toute frontière est remède et poison », dit Régie Debray. Sans ce risque, pas d'évolution car sans échanges, la cellule finit par mourir.
Au contact de son environnement, par ses échanges, la cellule se construit et évolue: la cellule est en constante transformation sans pour autant se perdre. Elle transforme également le milieu dans lequel elle évolue. Altération réciproque, une vraie rencontre. Le milieu est partie constitutive de l'identité de la cellule.
Comprendre le vivant, c'est comprendre le fonctionnement des constituants de ces cellules et les interactions qui entrent en jeu entre constituants, entre cellules, entre organismes... Comprendre le vivant, c'est s'intéresser à la relation.
Le vivant peut-il nous servir de lieu métaphorique pour tenter d'apprécier le monde qui nous entoure ? L'histoire nous apprend que la rigidité des frontières, des limites, s'accompagne inévitablement d'une intelligence du contournement. Pourquoi ? Parce qu'Homo sapiens est un animal social et symbolique, mais aussi et surtout un migrant. Il a essaimé pour lutter contre l'adversité, pour survivre tout simplement.
Au fil du temps et malgré les frontières, les cultures, les civilisations et les peuples se sont rencontrés, interfécondés, en un mot métissés. Frontières et contournements, deux mots qui rythment les sociétés humaines. Comme l'écrivait Jean-Pierre Vernant, « chaque humain doit assumer sa part d'Hestia et sa part d'Hermès » 2, ces deux divinités grecques qui symbolisent pour l'une le foyer domestique, la stabilité, le dedans, et pour l'autre les rencontres, les voyages, ce dehors souvent inquiétant.
L'humain n'existe pas sans la relation à l'autre. Cette relation existe parce qu'une altérité existe. La relation n'est pas dilution. Elle est mouvement, échange, imprévisible, à l'image du vivant.

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