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dimanche 14 octobre 2012

Devenus adultes, les adoptés prennent la parole

LE MONDE | 
Yolaine Cellier, 39 ans, en couple depuis 7 ans, a une petite fille de 3 mois, a fondé l'association Racines coréennes en 1995.
Yolaine Cellier, 39 ans, en couple depuis 7 ans, a une petite fille de 3 mois, a fondé l'association Racines coréennes en 1995. | Olivier Voisin / Promethee media pour le Monde

Les premières générations d'enfants adoptés à l'international, devenues adultes, font désormais entendre leur voix. Et elles portent un discours qui diffère sensiblement de celui des parents adoptifs et des institutions qui organisent l'adoption.
Les adoptés veulent parler de leur propre histoire, mais aussi des évolutions nécessaires pour que le processus se passe mieux pour les enfants. Car l'adoption n'est pas automatiquement bien vécue.
Le rassemblement de quelque 250 adoptés d'origine coréenne en provenance du monde entier, à Paris, du jeudi 28 juin au dimanche 1erjuillet, témoigne de cette montée en puissance. Au programme de ce "gathering" organisé par l'association d'adoptés français Racines coréennes figure une série de conférences qui intéressent particulièrement les adoptés : l'accès aux origines, les procédures d'accès au dossier d'adoption, l'apport des associations dans le retour en Corée, etc.
Les adoptés d'origine coréenne sont en pointe dans cette réflexion. C'est l'héritage de l'histoire. "Ce sont à la fois les plus nombreux et les plus anciens", explique Yves Denéchère, professeur d'histoire à l'université d'Angers. La Corée du Sud est le pays qui a le plus donné d'enfants à l'adoption internationale dans les années 1970 et 1980. Ils sont 200 000 dans le monde, et 15 000 en France.
"CETTE SÉPARATION PRÉCOCE ET BRUTALE NOUS RÉUNIT"
Yolaine Cellier, adoptée à l'âge d'un an, a fondé Racines coréennes en 1995, en s'inspirant du nord de l'Europe, où la parole des adoptés est davantage entendue. L'idée était d'abord de créer un espace de parole."Un lieu d'échange, pour se rencontrer et lutter contre cette impression d'être seuls au monde", explique-t-elle. Racines coréennes constitue aujourd'hui un réseau de quelque 1 200 personnes.
Une autre association, La Voix des adoptés, créée en 2005, commence à se faire entendre. Elle est plus petite et plus revendicative, couvre tous les pays d'origine, y compris la France, mais l'esprit est le même."On parle toujours du parcours du combattant qu'est l'adoption pour les parents, mais jamais de celui des enfants", résume Cécile Février, 32 ans, sa présidente, adoptée en Colombie.
Cela y ressemble pourtant bien. Il y a d'abord l'abandon par les parents biologiques. "C'est cela qui nous réunit, dit David Sarrailh, 39 ans, arrivé en France à 7 ans. Cette séparation précoce et brutale." Puis l'attente dans un orphelinat ou une famille d'accueil. Ensuite le déracinement. "A l'intérieur, on est comme tout Français qui a toujours vécu en France, mais le miroir nous renvoie en permanence à nos origines", explique Hélène Charbonnier, 35 ans, la présidente de Racines coréennes. Les adoptés ne comptent plus les insultes racistes dont ils sont victimes. Enfin, le questionnement sur les origines peut devenir lancinant - même si tout se passe bien dans la famille adoptive.
David Sarrailh, 39 ans,, adopté à  l'âge de 7 ans.

"En France, le discours sur l'adoption est toujours positif, on met en avant le côté humanitaire, observe Mme Février. On nous dit : 'De quoi te plains-tu ? Tu as été adopté.' C'est important d'avoir un espace où l'on s'autorise à dire que tout n'est pas simple, par exemple que l'on pense toujours à ses parents biologiques."
Ces associations souhaitent envoyer un message aux parents, et surtout aux candidats à l'adoption. "L'enfant a un passé pré-adoptif, même de quinze jours ou d'un mois, affirme Mme Février. Il ne faut pas le nier. Au contraire, il faut ramasser toutes les informations disponibles, même le nom d'une nourrice dans un orphelinat. Tous les témoignages pourront servir." Pour ceux qui, le jour venu, souhaitent retrouver leurs parents biologiques, le manque d'informations est cruel. Seule une petite minorité dispose d'indices permettant de retrouver la trace des parents biologiques.
"L'enfant a des droits, dont le plus élémentaire est celui d'avoir accès à sa propre histoire", résume Mme Cellier. Les parents adoptifs doivent-ils pour autant entretenir eux-mêmes le lien, organiser des voyages, vivre dans le folklore du pays d'origine ? "Non, il faut être ouvert, mais cette recherche est une affaire personnelle", répond Mme Charbonnier.
"S'ACCEPTER ET DONNER PRIORITÉ À NOTRE VIE"
Les adoptés sont loin d'idéaliser le retour aux origines. "L'idée n'est pas de favoriser les retrouvailles et de dire qu'après tout ira bien, parce que ce n'est pas vrai, témoigne Kim Linard, 37 ans, originaire de Corée.Après, il faut du temps pour retrouver un équilibre." Même quand il débouche sur un nom et une adresse, l'enfant adopté, susceptible de dévoiler des secrets de famille, n'est pas forcément attendu dans son pays d'origine. Il cherchait une mère, il trouve des oncles, tantes, frères, ou cousines. Il voulait de la proximité, mais la barrière de la langue et de la culture empêche la communication... Pour MmeCharbonnier, le rôle des associations est de soutenir les adoptés dans ces démarches, mais aussi de les aider à "ne pas faire une fixette là-dessus""Il faut s'accepter et donner priorité à notre vie", affirme-t-elle.
Les adoptés commencent à s'introduire dans les institutions qui organisent l'adoption en France. Encore trop peu à leur goût. Contrairement à Racines coréennes, La Voix des adoptés n'est pas présente au Conseil supérieur de l'adoption (CSA), un organe consultatif placé auprès du ministère de la famille. L'association n'a pas non plus été consultée lors de la préparation de la récente proposition de loi de la députée UMP Michèle Tabarot, présidente du CSA, visant à augmenter le nombre d'adoptés en France. "Il faut pourtant un rééquilibrage entre le désir d'enfant à tout prix et le bien-être de l'enfant", affirme Cécile Février, qui plaide pour une adoption"juste, préparée et légale".
Les futurs parents sont aujourd'hui mieux préparés qu'il y a vingt ou trente ans. Mais pour les associations d'adoptés, les solutions locales devraient être privilégiées. "Il vaut mieux grandir sur place chez un oncle qu'au bout du monde chez un couple riche", affirme MmeCharbonnier. Ils rejoignent en cela l'actualité. De plus en plus de pays favorisent l'adoption ou la prise en charge des enfants sur place, soit pour des raisons politiques, soit parce qu'ils se développent économiquement. "La France ne cesse de dire qu'il n'y a pas suffisamment d'enfants adoptables, mais il faut respecter la volonté de ces pays, estime Mme Cellier. L'adoption internationale n'est pas une fin en soi."


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