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samedi 29 septembre 2012


Une réponse sensible au problème du suicide assisté

27 septembre 2012

Par CORINE PELLUCHON Maître de conférences en philosophie à l’université de Poitiers. Spécialiste de philosophie politique et d’éthique appliquée
Pour parvenir à un consensus démocratique sur le difficile problème du suicide assisté, il importe de bien circonscrire le sujet. Le suicide assisté suppose que la personne a demandé de manière expresse et volontairequ’on lui donne un produit léthal qu’elle s’injectera. Il ne peut être assimilé à l’homicide, qui est le fait de prendre la vie d’un autre contre sa volonté. Le meurtre est «un pouvoir sur ce qui échappe complètement à mon pouvoir» (Levinas), une transgression, alors que le suicide assisté renvoie à la volonté de maîtriser sa vie. Cette volonté n’exprime pas forcément l’autonomie de la personne. Certaines demandes de mort reflètent l’hétéronomie de la volonté, le sujet intériorisant des valeurs de performance qui le conduisent à se sentir de trop. Il peut aussi vouloir ce que les autres veulent pour lui. Cependant, les malades auxquels s’appliquerait la proposition de loi défendue par Gaëtan Gorce sont ceux qui disent clairement qu’ils veulent mourir.
Les malades dans le coma ne sont pas concernés par ce projet. La loi du 22 avril 2005 prévoit une procédure collégiale permettant de décider d’un arrêt ou d’une limitation des traitements curatifs jugés disproportionnés à l’état du malade. Même si, au départ, ces traitements ont été administrés au bénéfice du doute, une décision d’arrêt peut s’imposer quand il apparaît qu’ils ne servent qu’à le maintenir artificiellement en vie. La distinction entre faire mourir et laisser mourir renvoie à la responsabilité des médecins qui reconnaissent que la médecine, en raison de sa technicité, peut créer des cas d’acharnement thérapeutique, comme ce fut le cas de Vincent Humbert qui, aujourd’hui, ne serait pas réanimé aussi longtemps. S’agissant des malades conscients, la loi Leonetti réaffirme leurs droits : la personne qui n’est pas en fin de vie peut demander l’arrêt de tout traitement, même si cela la condamne à une mort certaine. Elle juge ce qui lui semble disproportionné ou pas. Les médecins sont dans l’obligation de lui administrer des soins palliatifs afin qu’elle ne souffre pas.
La question soumise au débat doit donc être formulée ainsi : «Les médecins sont-ils dans l’obligation d’aider une personne qui veut mourir quand ils sont sûrs que sa demande est volontaire et qu’elle a eu accès aux soins palliatifs mais n’en veut plus ?» La réponse à cette question suppose que le problème de l’inégale répartition des soins palliatifs et celui de leur offre tardive soient résolus. Toutefois, on ne peut exclure les cas, très rares, de malades dont la douleur ne peut être soulagée correctement. On ne peut pas non plus laisser tomber les personnes qui refusent d’emblée les soins palliatifs, comme Chantal Sébire. Que penser enfin des malades qui, en raison de leurs handicaps, ne peuvent par eux-mêmes mettre fin à leurs jours ?
La légalisation du suicide médicalement assisté introduit dans la loi l’autorisation à aider une autre personne à mourir. Elle fait de l’aide médicale au suicide un droit. Il ne s’agit pas d’un droit liberté, mais d’un droit créance, puisque le suicide assisté, à la différence du suicide, implique une structure de soins et oblige les soignants à prescrire un produit léthal. Le désir du patient de mourir peut-il devenir le droit de demander que les soignants l’aident à mourir ? En même temps, laisser un malade se suicider en ayant recours à des moyens violents, n’est-ce pas de l’abandon ?
L’aide au suicide ne saurait être la réponse immédiate à la demande de mort qui est souvent ambivalente et disparaît presque toujours quand la personne bénéficie d’un accompagnement de qualité. Il faut cependant tenir compte du devoir de n’abandonner personne tout en évitant que le suicide ne devienne la solution la plus rentable et la plus rapide au problème de la prise en charge des malades en fin de vie. Comment traduire dans la loi cet équilibre ?
Comment prendre en compte le désir des citoyens de ne pas être spoliés de ce que certains appellent leur «ultime liberté» sans blesser les soignants qui estiment que leur métier n’est pas d’aider à mourir ? Comment être sûrs que nous ne serons pas contraints de vivre une vie qui n’a plus de sens à nos yeux sans cautionner une vision élitiste de l’existence qui décourage les efforts visant à intégrer ceux que l’âge, le handicap et la maladie tendent à exclure ? Comment respecter le droit de chacun à avoir sa conception de ce qu’est pour lui «exister», alors que, dans certaines maladies, les valeurs changent, que la volonté de la personne ne se réduit pas à l’avis qu’elle a exprimé dans une directive anticipée et que l’identité est au présent ?
Faire de la «souffrance psychique intolérable» un motif donnant accès à une aide médicalisée à mourir va à l’encontre de la prise en charge des personnes souffrant de dépression et des psychotiques. Quant à l’exception d’euthanasie, elle n’est pas claire sur le plan symbolique. Au contraire, distinguant la dépénalisation de la légalisation, on peut imaginer une commission ad hoc évaluant les cas. On se bornera cependant à ne pas poursuivre ni les soignants prescrivant l’injection léthale à la personne en fin de vie qui ne veut plus des soins palliatifs ni les personnes aidant le malade à se suicider, quand il ne peut le faire lui-même. Cette dépénalisation, qui pourrait être le fait de décrets d’application, ne serait pas l’étape vers la reconnaissance d’un droit au suicide médicalement assisté. Le suicide aurait lieu en dehors de l’hôpital, afin de ne pas mêler l’acte de soins à l’acte de se tuer.
Beaucoup trouveront cette proposition trop timide. Pourtant, laisser aux personnes cette possibilité, c’est déjà beaucoup. Nul ne sait comment il réagira quand il sera à la fin de sa vie. Chacun espère qu’il ne mourra pas mal. Il s’agit de lui donner cette certitude. En même temps, il est essentiel de ne pas fragiliser l’hôpital et d’éviter de banaliser le suicide ou d’en faire la réponse au problème de la souffrance (en fin de vie).
Dernier ouvrage paru : «Comment va Marianne ? Conte philosophique et républicain», François Bourin, 2012.

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