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mercredi 26 septembre 2012

Une prof en colère

LE MONDE | 
Abandonnés sur canapés" ! Voilà comment Mara Goyet, professeur d'histoire-géographie dans un collège parisien, voit désormais ses élèves. Lorsqu'elle leur demande de dessiner le plan de leur chambre, en guise d'introduction à la cartographie, elle n'a d'yeux que pour ce nouvel envahisseur : le canapé... D'abord, il y avait eu la télé, demain ce sera le frigo, prédit-elle, désolée que ceux qu'on a pris pour des enfants-rois soient en définitive des pauv'gamins abandonnés, relégués seuls au fond de leur chambre-studio.
Sans compter que ces canapés sont un signe supplémentaire pour elle de l'avachissement galopant que connaît cette génération qu'elle a tant de mal à faire se tenir droit en classe. Et Dieu sait si ça lui déplaît, ces colonnes vertébrales attirées par la ligne horizontale plus que par la verticale ! C'est la facette ultraclassique de Mara-Goyet-la-prof. C'est aussi cette force d'attraction vers le sol qu'elle combat en rappelant"aux garçons qu'ils pourraient remonter leur pantalon et que l'exposition de leur calbute n'est pas une compétence du socle commun, ces connaissances qui doivent être maîtrisées par tous les sortants du collège".
En même temps, elle a bien conscience qu'entre l'idéal enseignant et la réalité de la classe, il n'y a pas un fossé, mais un gouffre. C'est le coeur du propos de son Collège brutal.
Après quinze ans d'enseignement, celle qui continue de vibrer aux théories séduisantes d'Alain Finkelkraut est en train de mettre "l'élève au centre" de sa pédagogie. Pire ! elle veut même convaincre ses lecteurs que ça ne s'appelle pas du renoncement mais du pragmatisme. "Comment font-ils, certains, pour être toujours aussi républicains ou pédagos après plus de vingt-cinq ans de métier ? Ils enseignent les yeux fermés ?", se demande-t-elle sans trouver de réponse.
Et ce n'est pas la seule question qui la taraude... Celle de la place de l'autorité des profs l'inquiète aussi. Cette "autorité se compose d'un tas de manies hétéroclites qui nous définissent aux yeux des élèves... L'un voudra trois carreaux à partir de la marge, des intercalaires parme et du bleu Waterman. L'autre mettra des croix, des ronds, comptabilisera les cahiers oubliés, les bavardages. Un autre aura des codes couleur, des interros-rituels. Nous contenons, à grand renfort de rites et rituels magiques qui créent des bulles d'enseignement volatil en suspension dans le bordel ambiant"... De quoi s'attrister ; mais de quoi montrer aussi aux parents en quoi le maintien de ces petits riens fait partie de la grande bataille quotidienne des maîtres.
Un vague à l'âme et beaucoup d'amour du métier suintent entre ces mots que Mara Goyet manie si bien. Et sous les critiques sympathiques de ses collègues affleure une vraie charge contre l'institution à qui elle enfile le bonnet d'âne sans barguigner. Parce que c'est parfois n'importe quoi, quand même ! Comme ce conseil de classe de sixième : "Nous avons compris que la moitié des élèves n'avaient pas le niveau pour passer dans la classe supérieure. Nous les avons fait passer en cinquième"... Difficile de répondre à ça ou à sa critique sur le livret de compétences, le "truc le plus débile que j'aie vu de ma carrière"...
On peut juste souligner que l'écrivaine a peut-être été entendue, puisque ce livret va être modifié et que le nouveau ministre veut "refonder l'école"... Il était temps, car ce récit introspectif se veut aussi le bilan d'une ère de grande souffrance et d'un état assez inquiétant de l'école.
Collège brutal, Mara Goyet, Flammarion, 138 pages, 12 euros

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