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samedi 18 août 2012

Fugue : liberté du sujet ou responsabilité du soignant ?
La « fugue » est un événement redouté par les soignants de patients désorientés. Elle interroge sur les réelles motivations de la personne malade, fait craindre le pire, culpabilise les professionnels, bouscule nos vulnérabilités et nous pousse à améliorer nos pratiques de soins.


« Fugue » : un terme équivoque

La « fugue » est un comportement inhabituel et imprévu de fuite du lieu de résidence (Littré). Dans son sens commun, elle sous-entend une intention d’échapper a un danger réel ou potentiel. Le patient fuit un environnement qu’’il perçoit comme inhospitalier, voire un personnel juge hostile. Son inconfort psychique le pousse a partir sans but a priori. Chez la personne âgée notamment démente, la « fugue » serait plus souvent liée a un comportement de déambulation. Le patient quitte son lieu habituel de résidence sans réelle intention de fuir. Tant qu’’il ne trouve pas d’obstacle devant lui, il avance. Entre les deux formes, existe un patient motive par ses souvenirs a agir en dépit des réalités actuelles (aller chercher ses enfants a la crèche, prendre son train…).

La déambulation du patient dément

Ce problème est réputé fréquent en gériatrie, en institution comme en ville. Selon McShane, deux tiers des patients Alzheimer présenteraient ce type de comportement sur un suivi de 10 ans (1). Ce trouble est observe a tous les stades de la maladie et est caractérise par son imprévisibilité. La déambulation est cliniquement protéiforme. C’est l’errance, la marche sans repos, le piétinement incessant (akathisie), le syndrome de Godot voire, pour certains auteurs, le miroir de l’apathie.

Quel risque encouru par le patient ?

Malheureusement, il n’existe aucune réponse précise a cette question. La disparition d’un patient âge dément est sans conteste dangereuse dans le Grand Nord canadien, voire dans les états de l’Ouest américain, mais nous ne disposons d’aucune donnée fiable pour nos contrées. En janvier 2011, deux cas de patients décédés par le froid ont défraye la chronique française. De façon inconsciente les soignants surestiment le risque accidentel. Pour une institution gériatrique, la fugue est un événement grave.

Un événement culpabilisant

Les soignants culpabilisent face à la fugue. La confiance des familles est rompue. L’intégrité physique du patient est mise en jeu. Le placement n’était pas consenti. La mort n’est pas « naturelle ». L’équipe est mise à mal dans ses pratiques qui sont de plus en plus sécuritaires. S’immisce alors un soupçon de négligence. Il est recherche la faute, le défaut de surveillance. Il est intéressant de constater que la fugue est aujourd’hui considérée comme un « dommage évitable ». Domaine dans lequel l’apprentissage par l’erreur prévaut sur la recherche de la faute. Ce changement de paradigme de la production de soins est pourtant difficilement compréhensible quand la formation des professionnels est basée sur un système hyper-sélectif et prône l’excellence.

Quelles responsabilités pour les soignants ?

Les institutions engagent leur responsabilité contractuelle en cas de fugue mortelle. Il en va du choix des patients admis eu égard à leur profil pathologique (arrêt de la cour d’appel de Versailles du 27 avril 1990) et des moyens de l’institution pour pallier les risques (arrêt de la cour d’appel de Versailles du 17 décembre 1999). « L’obligation de surveillance ne peut du fait de la liberté d’aller et venir être qualifiée de résultat, ce résultat, la sécurité en espèce, ne pouvant qu’être incertain » (arrêt de la cour d’appel de Toulouse 26 juin 2007).

La prévention du risque de fugue

Parce que la fugue est imprévisible et que la rapidité de détection des disparitions conditionne les moyens nécessaires de recherche, il est indispensable pour les institutions de soins de disposer de protocoles spécifiques a ce risque (2). Les bonnes pratiques préconisent :
● D’identifier les facteurs de risque de déambulation :

– reconnaitre les patients déments ;
– reconnaitre les états confusionnels ;
– repérer et traiter les causes réversibles de délire ;
– rechercher les antécédents de déambulation ;
– repérer les conduites de fuite (demande de sortie, habillage spécial, camouflage…) ;
● d’organiser une supervision appropriée :

– ne pas laisser seuls les patients en salle d’attente d’examen ;
– installer les patients dans les zones les plus surveillées par les équipes ;
– vérifier la présence notamment aux changements d’équipe ;
– geolocalisation ;
● de réduire les sources environnementales d’errance :

– éviter les pollutions sonores ou mêmes lumineuses ;
– camouflage des issues (trompe l’œil) ;
– accessibilité au lit pour le repos ;
– accessibilité aux commodités ;
– contrôle des sorties (digicode) ;
● d’adapter le projet de soins au cas par cas :

– rechercher auprès de l’entourage familial des causes d’errance (angoisse, recherche d’une personne, aller au travail) et les stratégies efficaces ;
– rassurer le patient en lui offrant des éléments de personnalisation de l’endroit ;
– éviter les changements de chambre ;
– favoriser les activités occupationnelles ;
– travailler sur les causes de syndrome confusionnel ;
– éviter la contention (risques > bénéfices) ;
– évaluer et traiter la douleur ;
– soins d’hygiène et continence ;
– respect des rythmes, rituels d’endormissement.

Donner du sens à la « fugue »

La fugue est un symptôme. Elle doit faire rechercher des causes, dont certaines pathologies médicales comme la démence, mais aussi des aspirations et des motivations. Elle doit nous interroger sur notre propre comportement et nos pratiques de soins. Il est important de garder a l’esprit que la fugue peut être l’ultime moyen d’un patient en souffrance et dyscommunicant d’exprimer son désaccord, voire son refus. La fugue projette en nous deux notions a priori paradoxales : la liberté d’aller et venir et la sécurité due aux soins (3). D’un cote, un droit fondamental en dehors des lieux contraints (prison et milieu psychiatrique ferme) et, de l’autre, une obligation de résultat liée a notre fonction de soignants. Les excès de l’un conduisent a des fautes : liberté totale et négligence/ enfermement et maltraitance. Les équipes doivent trouver collégialement un équilibre subtil entre un maximum de liberté et un minimum de contraintes. Le risque zéro de sortie inopinée n’existe pas. Il faut tout mettre en œuvre pour que le risque de sortie imprévue soit le plus faible possible. La méthodologie n’est pas dans l’interprétation des textes de loi ni des règlements. Elle est dans le sens donne a nos actions de soins.

Références


1. McShane R, Hope T, Wilkinson J. Tracking patients who wander: ethics and technology. Lancet 1994 ; 343 : 1274.
2. Rowe M. Wandering in hospitalized older adults: Identifying risk is the first step in this approach to preventing wandering in patients with dementia. AJN 2008 : 108 ; 10.
3. Liberte d’aller et venir dans les etablissements sanitaires et medicosociaux, et obligation de soins et de securite. Conference de consensus du 24 et 25 novembre. Revue générale du droit médical 2004, 32p.




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