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mercredi 4 juillet 2012

La maladie mentale rend-elle plus créatif ?

Les liens entre la créativité et la folie sont suspectés depuis longtemps : « Aucun grand génie n’a jamais existé sans un brin de folie » notait déjà Aristote. Mais certains auteurs –estime l’éditorialiste du British Journal of Psychiatry [1]– considèrent cette « prétendue association comme une vision romancée et naïve de la maladie mentale » ou une «incompréhension de la diversité des qualités d’imagination et d’humeur requises en matière d’originalité. »
Si ce débat ne sera sans doute jamais clos, une étude suédoise (réalisée sous l’égide du prestigieux Karolinska Institutet où sont décernés les Prix Nobel de médecine [2]) vient le relancer en montrant un « taux anormalement élevé » de maladies mentales, « en particulier de troubles bipolaires », chez des sujets créatifs (artistes, romanciers, chercheurs…). Portant sur plus de 300 000 patients avec « un trouble mental sévère » (schizophrénie, trouble bipolaire ou dépression unipolaire) hospitalisés en Suède entre 1973 et 2003, et comparés à leurs proches indemnes et à des sujets-contrôles, cette étude montre que les individus avec troubles bipolaires ainsi que les fratries non affectées des patients schizophrènes ou bipolaires se trouvent « sur-représentés dans les professions créatives. »
Les schizophrènes ne sont pas globalement plus nombreux à exercer des métiers créatifs, excepté dans les professions artistiques. En revanche, ni les individus souffrant de dépression unipolaire, ni leurs frères et sœurs ne sont sur-représentés dans les professions créatives, comparativement aux sujets-contrôles. Les odds ratios sont modérés, mais significatifs. Par exemple, après ajustement statistique pour le quotient intellectuel, les frères et sœurs de schizophrènes sont deux fois plus nombreux à exercer une profession artistique (odd-ratio : 1,93 ; intervalle de confiance à 95 % [1,47–2,54]). Et la probabilité d’exercer ce type de profession est environ une fois et demi plus grande chez les sujets bipolaires eux-mêmes (odd-ratio : 1,44 [0,76–2,72] IC 95 %) et pour leurs fratries (odd-ratio : 1,61 [1,11–2,34] IC 95 %).
Pour les auteurs, cette étude met en lumière une « association claire » entre certaines psychopathologies spécifiques et des professions créatives. Ce lien pourrait expliquer le « paradoxe de la persistance des troubles mentaux malgré l’évolution », dans la mesure où ces troubles seraient associés à une meilleure créativité chez les intéressés ou/et leur entourage, avantage venant peut-être compenser les inconvénients inhérents aux maladies mentales. Mais d’autres hypothèses sont envisageables et des travaux complémentaires sont nécessaires pour savoir si « la créativité se distingue d’autres traits humains, comme l’intelligence ou le langage », susceptibles d’interférer aussi avec un risque accru de pathologie psychiatrique.

Illustration : Antonin Arthaud, poète de génie accessoirement schizophrène

[1] Kay Redfield Jamison : « Great wits and madness: more near allied? » Br J Psychiatry 2011;199: 351-352.


Dr Alain Cohen

Kyaga S et coll. : Creativity and mental disorder: family study of 300 000 people with severe mental disorder. Br J Psychiatry 2011;199: 373-379.

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