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mardi 12 juin 2012

Face aux drogues, tirer les leçons de l’échec

7 juin 2012
Par ALAIN MOREL Psychiatre, directeur général de l’association Oppelia, JEAN-PIERRE COUTERON Psychologue, président de la fédération Addiction
La politique menée depuis cinq ans par la France en matière de stupéfiants avait l’ambition de faire baisser les usages de drogues : rappel de la dangerosité des substances illicites, légitimation de la pénalisation, multiplication des sanctions, hausse des interpellations, médiatisation des opérations coup de poing… Rien ne devait affaiblir l’action publique dans sa volonté d’ériger une ligne Maginot entre les drogues illicites et les autres, entre les jeunes et les produits psychoactifs. Dans le même temps, le gouvernement refusait de relancer les actions sociales et de réduction des risques, rejetait l’expérimentation de salles de consommation supervisées et limitait la prévention dans les collèges et les lycées au passage de policiers et gendarmes. Quelques universitaires, chercheurs, addictologues étaient convoqués pour servir de caution scientifique. Une poignée d’ex-policiers et magistrats, recyclés dans la politique, amplifiaient le message. Ceux qui ne voulaient pas se prêter à ces gesticulations mais s’en tenir aux réalités scientifiques étaient livrés à la vindicte populaire. La moindre contestation était assimilée à un éloge des drogues, la moindre évocation d’une adaptation de la loi était taxée de laxisme, la moindre main tendue à l’usager devenait de l’angélisme. Cette politique rassurait l’opinion, les sondages étaient bons. Seul cela importait.
Aujourd’hui, une enquête mesurant sur les cinq années écoulées l’évolution des usages des adolescents établit que cette politique a connu le même fiasco que la célèbre ligne Maginot : alcool, tabac, cannabis sont à la hausse chez nos adolescents [lire Libération d’hier, ndlr]. Substances licites ou illicites, même combat ! L’ennemi n’a pas eu la courtoisie de passer là où nous l’attendions ! Cet échec n’est pas une surprise pour ceux qui savent cette idéologie basée sur une vision mythique des drogues qui voudrait que les substances illicites soient plus dangereuses que les autres. Pourquoi prévoir une peine de prison pour un fumeur de cannabis si cette drogue n’est pas criminelle ? Et, si fumer une cigarette ou boire de l’alcool laisse en règle avec la loi, cela ne confirme pas que leur danger n’est pas aussi grand. Il suffit d’en faire un «usage raisonnable» si l’on en croit des sportifs recrutés par un industriel de l’alcool pour une campagne de pub lancée à l’occasion d’un grand tournoi de tennis. Et pourtant, l’enquête précitée le confirme : l’expérience des substances licites telles que tabac et alcool précède toujours celle des substances illicites, notamment du cannabis.
Mais il serait malhonnête d’attribuer entièrement les mauvais chiffres de consommation à cette politique, des éléments structurels y ont une part importante. Il est ainsi urgent de prendre en compte l’environnement addictogène dans lequel nous vivons, non pour y trouver une excuse, mais pour en déceler les difficultés quand il s’agit de garder la maîtrise de nos comportements d’usage de produits. Nul ne peut imaginer que dépénaliser représente la seule solution, que déréguler constitue la panacée dans une société marquée par la dérégulation. Mais nul ne peut accepter que l’interdit, sans autre précision, soit brandi comme seule réponse à l’hypersollicitation consommatoire de notre société. Une politique du XXIe siècle doit être globale et agir sur au moins quatre domaines.
Elle doit d’abord contenir cet environnement addictogène en posant règles, interdits et limites, en prévoyant des sanctions, y compris pénales. Mais sans craindre de remettre en cause une pénalisation de l’usage simple qui ne sert à rien et coûte cher. Dans le même temps, le développement de l’éducation préventive sous toutes ses formes permettra aux familles d’anticiper l’attractivité des substances, d’accompagner leurs enfants dans l’appropriation progressive des effets du monde moderne et de ses technologies, renforçant les compétences des personnes. Toutefois, dans un monde où tout circule et s’échange, les adolescents feront encore des expériences. Nous devons donc développer les actions permettant de les rencontrer, plus tôt et au plus près de ces premières expérimentations, avant qu’elles n’aient creusé le sillon de l’habitude. Les actions d’intervention précoce faites en milieu scolaire, la relance des consultations jeunes consommateurs sont des pistes à suivre. Le dernier axe est celui où nous anticiperons les risques pris par ceux qui continueront de tester leurs limites, de franchir nos interdits. Autant de raisons de soutenir les équipes qui proposent des actions de réduction des risques et déploient des filets de sécurité.
La politique passée a rendu tout débat impossible. Il ne s’agit pas d’affaiblir les interdits, mais de dépasser l’obsession de la loi pour promouvoir une politique de santé publique diversifiée et équilibrée. L’actuel gouvernement semble hésiter, le candidat Hollande n’évoquait qu’un rééquilibrage entre logique de soins et logique pénale. Or, continuer de choisir entre soigner ou punir, sans logique d’éducation et de prévention, c’est accepter de continuer à fabriquer des consommateurs dépendants. Unanimement, les acteurs qui travaillent, réfléchissent et s’engagent sur le terrain réclament et proposent une autre politique. Ils ne demandent qu’à y contribuer.
Auteurs de : «Drogues : faut-il interdire ?», Dunod, 2011.

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