blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

jeudi 16 février 2012


MAIS OÙ DIABLE VOUDRAIENT-ILS NOUS FOURRER ?

16 Février 2012 Par Antonella Santacroce
Parcourant le « Plan Psychiatrie et Santé Mentale 2011-2015» j’ai ressenti, je l’avoue, une certaine hâte d’en terminer la lecture, m’y sentant extrêmement à l’étroit. Tout à fait comme lorsque l’on vous emmitouflerait, ou l’on vous bâillonnerait, pour que vous ne puissiez ni voir ni bouger, ni même crier. Et plus particulièrement encore, à cause de cet empressement si fiévreux qu’on y lit, de se débarrasser gentiment  de tout ce qui ne correspondrait pas, ou qui serait estimé ne pas correspondre, à ses Normes. (Aux actuelles Normes de ce Plan.) Se débarrasser surtout ! de tout ce qui serait jugé indument grever les dépenses publiques, et la perte de compétitivité, et (donc !) les inacceptables manques à gagner. Tout ça  exprimé, cette fois-ci  (comme le précise justement Guy Baillon), par un dire plus tranquille, et des plus calmes paroles. Bref, par un formidable arsenal fourré de multiples « programmes », flous, ou teintés de mensonges hypocrites, ou bien carrément mal accordés avec la spécifique politique de rigueur menée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy.
Or, vous ne pourrez que rire (ou sourire amèrement), lorsque vous vous trouverez à faire face, tout au long de ce Plan, à l’avenir si lumineux et rassurant de ces êtres dont à l’improviste l’on s’est mis à se soucier si fort, et qui, ayant la chance d’être « malades » ou « handicapés » de leur « mens », seront d’un bout à l’autre assurément bien protégés (nous dit-on), en leur essence et en leur être fragiles et vulnérables ! Et cela, bien que les rédacteurs de ce Plan n’aient pas encore déclaré (décidé ?! ), en leur âme et conscience (le texte se contredisant à ce sujet), si à leur avis, ces écorchés vifs sont à juger « guérissables», à un moment ou à un autre de leur existence, ou bien si, pour aller plus vite, l’on doitleur apprendre (il s’agit là de la dernière posture à la mode, dans ce terrain) « à vivre avec », « à faire avec » (leur maladie) ! Une aide et une protection (celles proposées par l’Etat) jamais lasses d’elles-mêmes, et qui seront généreusement poursuivies dans tous les domaines, y compris celui si... aisément réalisable aujourd’hui, d’une... future embauche à un futur travail ! 
L’Introduction de ce Plan, nous précise que la Santé mentale est désormais reconnue comme « un droit de l’Homme », inscrit dans le cadre du « pacte européen ». Et, l’O.M.S. (l’Organisation Mondiale de la Santé) ayant explicité que les « troubles mentaux [...] contribuent largement à la morbidité et à la mortalité prématurée », l’on ne pourra que proclamer haut et fort, que « la santé mentale doit être un domaine prioritaire des politiques de santé. » 
UN IMMENSE MERCI À VOUS TOUS ! À vous, que ce même Plan désigne comme les « acteurs » de la psychiatrie et de la santé mentale, mais également aux « organes de gouvernance ». À vous tous, oui !, qui savez marcher d’un aussi bon pas et de concert, à la rencontre des  « situations » dont il est ici question, et qui « agissez en connaissance de cause », vous appuyant sur LA SCIENCE qui, par définition, ne faillit, et ne pourra jamais faillir ! Tout cela ayant été l’objet – nous dit-on – de la réflexion d’un « comité d’orientation », visant une nécessaire « stratégie nationale » – qui n’oublie pas (au contraire !), qui garde toujours vivants – aux yeux de son esprit – «  les valeurs, les principes, les définitions posés et concertés», que ces 2 buts, ultimes et inaliénables, résument, et qui clament qu’il faut :
a)   « redonner du sens  à la psychiatrie », et
          b)   «  assurer la protection des personnes et de la société toute entière ».
Car, il est clair, qu’un humain doué de Raison – et donc digne de ce nom – ne voudra, ni ne saura (ne pourra-t-il, sous peu ?) renoncer à sa propre « protection », fût-elle seulement physique. Bon.
Or, tout cela paraît rappeler fort certains envoûtants films de Charlie Chaplin, traversés de leurs si élégantes, si bienveillantes Patronnesses, suivies par la traîne de leur Bienfaisantes-Institutions-Caritatives, à jamais vouées à pourchasser ces errants, n’ayant ni gîte ni pain, et qui, pourtant – bien que nécessiteux –luttaient de toutes les forces et de tout leur cœur, pour les fuir, ces Dames-Patronnesses – aimant mieux leur liberté (quoique misérable) que les simagrées de leurs bienfaitrices interloquées.
D’ailleurs, la quasi totalité de ce Plan est composée d’une manière telle, qu’on serait tenté d’émettre l’hypothèse (à l’apparence tout au moins assez loufoque), qu’il aurait bien pu être conçu et rédigé par des sortes de psys traditionnels, ayant si bien plongé dans tout ce qui a été dit et exprimé dernièrement à ce propos, qu’ils auraient fini par vouloir dresser, pour ainsi dire, une vision finalement apaisante de tout cela. Aussi, sautillant d’un bout à l’autre du podium, mixant le tout à la moulinette du bien-être propre à la santé mentale, ils présentent de nouveau leur plat, pardon ! ce plan ! accommodé à une sauce si succulente, que – à leurs yeux– tout ce beau monde ne pourra que désirer y goûter...
N’y traite-t-on, peut-être, avec la plus grande déférence, et parfaite courtoisie, tous ces « malades » ou « malades mentaux » ou « handicapés » ou même « handicapés mentaux », selon les multiples «appellations » ici resorbées? Et, parmi eux, ceux aussi qui ne veulent absolument pas entendre raison (comme l’on aime dire), parce qu’embourbés dans leur si coriace déni des troubles mentaux, qui les ligote, les empêchent de savoir ce qu’ils leur faut, et jusqu’à ce qu’ils désirent – dans ce magma  ténébreux qui les entoure et les phagocyte.
Mais encore... L’on n’entend peut-être mettre à leur disposition des entières équipes pluridisciplinaires (y compris composées d’urbanistes et architectes !) pourvu  de les ramener là où ils ne veulent absolument pas se rendre ? À savoir, là où il leur faudra reconnaître qu’ils sont « malades », avec ce spécifique « droit », établi de nos jours, « à la sante mentale » (comme déjà noté), qui ne peut que s’accompagner de son « devoir » collatéral, celui de « se faire soigner » ?
Et l’on ne fait à nouveau les yeux doux également à leurs familles, afin que tous, absolument tous ! puissent converger vers ce but commun et sublimatoire, qui est la reconversion de cet être têtu et malhabile, à la connaissance de son véritable bonheur ?
Et l’on ne sera même allé, pour son bien, jusqu’à décider de le faire côtoyer par ses propres pairs, qui seront appelés les « aidants » ! Et, pour qu’ils (ces aidants) ne paniquent pas trop, et surtout ! pour qu’ils n’en fassent pas trop à leur tête (puisque, ailleurs, dans ce même Plan, il est dit : « les personnes handicapées[...] qu’elles soient personnes malades ou aidant »), on les soumettra à... non ! non ! (Il ne faut pas s'exprimer de la sorte !) Ils seront accompagnés ! même pas !informés ! mieux encore ! : soutenus ! Voilà ! Soutenus ! avec le but unique de les « encourag[er] » à persévérer dans leur nouvelle tâche, par « des dispositifs d’écoute et des programmes de psycho-éducation ».
Et qui (demandons-nous), qui la dispensera à son tour, cette même écoute, voulant parvenir à une parfaite « psycho-éducation », pour que la boucle soit enfin et définitivement bouclée ?  Et qu’est-ce justement, qu’est-ce qu’on entend, en quoi consisterait-elle cette admirable, mystérieuse « psycho-éducation » ? Aurait-elle à voir, par hasard, avec ces « référentiels de bonne pratique », dont on  nous parle également dans ces pages, et à propos desquels on s’avance à peine, en nous disant, qu’ils seront soupesés et, le cas échéant, « développés », par « le conseil national professionnel de psychiatrie » ?  
Mais, là, nous allons nous arrêter – bien que ce Plan recèle encore maintes et maintes autres, mirifiques réformes (parfois simplement suggérées), et à propos desquelles l’on pourrait tout à fait honnêtement deviser, afin de  ne pas cesser de les « traiter », certes, ces Satanés dingues !, mais (qu’on se ravise !) en toute douceur et, pour ainsi dire, en pleine lumière, dorénavant !
Or,  à qui voudra bien nous entendre nous dirons que ce n’est pas du tout, (mais pas du tout !) ce qui a été explicité et conté tout au long de ces 33 pages, avec autant de compréhensive et méticuleuse douceur, ce qu’il nous faut ! Puisque, folie ou pas folie, ce qu’il nous faut sur Terre, c’est une vision autre de l’existence, et la possibilité d’une autre réalisation, de soi et de cette même existence. – Et donc aussi de la folie. Et, à ce moment-là, elle ne sera plus estimée ni à redouter, ni à fuir, ni à enfermer. (Ce qui revient au même). Car (comme nous nous entêtons à le répéter), à nos yeux les «  folies » ne sont pas des maladies de la mens, qu’on doit mater et contraindre ! Ni même pas convaincre. Et, bien que ce soit parfaitement vrai que – en ces derniers temps – la science a réalisé des multiples, saisissants découvertes, la soi disant « folie », la science ne sait pas encore véritablement d'où elle revient.
Néanmoins, on peut assurément avancer 2 pions sur cet échiquier. Celui de la liberté, et celui de l’affect, les seuls aptes à  tenter de reconduire (si, et quand ils le voudront bien) à une existence soi disant « normale » (: normative ?), ceux  qui s’en échappèrent. Car, on aura beau le dire et répéter – c’est une vérité trop dure à entendre – que chacun de nous niche dans son tréfonds, raison et déraison, réel et irréel, plus ou moins entrelacés. Ca suffit d’enfermer des humains seulement parce qu’ils sont différents, ou parce qu’ils parlent un langage autre ! Ca suffit de les soumettre à tous ces omnipotents matraquages psychiques et/ou chimiques, pour qu’ils deviennent comme tout-le-monde !
Par contre, là où il faudra garder raison, c’est à bien élucider ceci : comment défendre ce qui – dans chacun de nous – se soustrait, ou désirerait bien se soustraire à la Norme, qui nous est sournoisement imposée d’en Haut ? Car c’est la Norme, qui crée les a-normaux, avec leurs lots d’anomalies.
Apprenons donc à les respecter, ceux qui ont le courage de la défier (de la braver ?), cette Norme, qui se métamorphose rapidement en « Loi » dans les esprits.Une Loi quotidienne, mais qui sait aussi s’imposer en tant que séculaire ! Et, pour ce faire, on n’a qu’à relire – NON PAS et seulement la déclaration des droits qu’on a attribués aux « personnes » handicapées, mais la véritableDéclaration universelle des droits de l’homme, qui établit tous les humains sur un pieds d’égalité !
Or, Guy Baillon, si je ne me trompe pas, dans votre texte, vous – sans aucun doute excédé, et à juste titre, par les douceâtres mensonges et l’excès de bureaucratisation de ce Plan, si insouciant vis-à-vis de la loi du 5 juillet 2011, et par elle accouché – vous courez le risque d’apparaître, dans votre défense si enflammée de la psychiatrie de secteur (à vos yeux, refuge unique de (pour ?) la folie), vous courez donc le risque d’apparaître comme l’indéfectible allié des seuls « soignants du secteur », que vous appelez  « humains » – dans leur exercice d’un travail attentif et en équipe, au cœur même de la Cité. Car, seulement eux, pourront sauver ce qui est « humain » dans la psychiatrie, et donc, et avec elle, les malades. Nous voudrions seulement vous opposer, ayant lu dans le passé, quelque peu émus, l’un de vos récits d’une visite au marché du coin (soignants et soignés confondus), que – à nos yeux – le plus nécessaire, vis-à-vis de ceux qui « sortent du sillon», est – si elle est réclamée – l’aide à une renouvelée rencontre, de ce qu’aujourd’hui on appelle le « désir ». Leur désir extrême de vie ? Leur désir d’une véritable existence terrestre ? Ou bien, leur Songe premier, nourri aux temps de l'enfance ? Ce même Songe d’enfant si violemment bafoué, par ce si mal foutu réel social qui nous entoure ?
La rencontre renouvelée de ce Songe, oui ! qui – irréalisé, humilié – les conduisit vers ce  chemin d’herbes folles. Car, il ne suffit pas la seule suggestion – dictée par une sorte de chaleureuse bonne volonté – de conseiller comment faudra-t-il l’occuper, sa journée, afin qu’elle soit la plus « thérapeutique » possible. Si l’on désire « accompagner » quelqu’un dans ce voyage à vous couper le souffle qui est souvent la folie, cela ne saurait se faire – à nos yeux, tout au moins –  qu’en essayant de retrouver, et de recomposer à sa suite (à la suite de ce puissant voyageur d’Océans intimes), le moyen propre, pour pouvoir   de nouveau bouger, marcher – également dans le « réel ». Mais à jamais de par soi-même ! Eventuellement, et si désiré, suivant la phrase de Maria Montessori, qui dit à jamais : « Aide-moi  à faire seul ». Pliant ces herbes folles sous son propre pas, et guidé par le seul but de la « création » (de la « fabrication » ?) de son proprechemin. Et cela (on le sait) ne vaut pas que pour les fous ! Cela vaut pour tout un chacun de nous, fou ou pas fou ! De nous, les humains – si entourés de mystères, et qui ne demeurons qu’une seule fois et pour un temps assez limité,  sur cette planète Terre, tout en essayant à tout prix de comprendre : notre vie, et ce que nous, nous appelons la mort.

Aucun commentaire: