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jeudi 23 février 2012

Coordination Nationale Infirmière

Psychiatrie : réforme des hospitalisations aux forceps

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Écrit par Christine ABAD   
21-02-2012
fotolia_7536100_xs.jpgRéforme des hospitalisations : aux forceps 

La loi du 27 juin 1990 devait être évaluée au bout de 5 ans, elle est enfin réformée aujourd’hui. Et pourtant les soins en psychiatrie ont évolué depuis 20 ans ! 

Nombreuses réformes y ont contribuées :
• l’organisation des soins avec la loi dite « hôpital 2007 » et la loi dite « HPST » du 21 juillet 2009 ;
• l’apprentissage des soins en psychiatrie, puisque nous sommes à la 2ème réforme des études en soins infirmiers (1992/2009) ;
• la loi relative aux droits des patients.

Cette réforme est déjà décriée avant même son vote. Certains sont opposés au changement de philosophie voir d’éthique.Il ne s’agit plus d’hospitalisation sous contrainte mais de soins sans consentement.

Les sénateurs ont tenté de s’y opposer mais ont été contrés dans leur tentative.
Quel regard critique pouvons-nous poser sur la loi portant réforme des hospitalisations en psychiatrie ?
Nous allons dans un premier temps essayer d’en comprendre les évolutions de façon schématique, en comparant les modalités d’hospitalisations sans consentement de la loi du 27 juin 1990 et des propositions de réformes puis nous aborderons l’impact que pourra avoir certaines évolutions sur les soins.

Ce projet de loi comporte des nouveautés, nous en traiterons trois car elles concernent les modalités de soins des personnes admises en soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou sur décision du représentant de l’Etat :
• l’intervention du juge de la liberté et de la détention (JLD) ;
• le collège de trois membres du personnel ;
• le programme de soins ambulatoires.

Le juge de la liberté et de la détention (JLD)

Toute hospitalisation, de personnes admises en soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou sur décision du représentant de l’Etat, au-delà de 15 jours et de 6 mois ne pourra se poursuivre sans que le JLD ne soit saisi par le directeur de l’établissement d’accueil. 
Le JLD statuera soit au Tribunal de Grande instance (TGI) soit dans une salle aménagée au sein de l’établissement. Dans le cas où le patient ne pourrait se déplacer au tribunal, l’audience pourrait se faire par vidéoconférence.

Le patient peut être accompagné ou représenté par son avocat, il est entendu lors d’audience publique. (Art. L.3211-12-2).

Cette disposition ne remet-elle pas en cause le secret médical puisque l’hospitalisation et sa nature seront rendues publiques ? Quelles pourront être les conséquences si un employeur, un assureur, un bailleur… ont connaissances des décisions du JLD ?
Comment un patient ayant des symptômes envahissants, pourra comprendre la situation. Comment va-t-il l’appréhender ? 
Les équipes de soins vont être impactées par cette évolution car il faudra accompagner le patient tant dans la compréhension de cette audience qu’à l’audience elle-même. 
hospitalisations_sans_consentement.gif

Selon une étude d’impact du 24 décembre 20102 , en 2007, 61000 patients ont été hospitalisés sans leur consentement durant au moins 15 jours et entre 11500 et 17500 durant six mois répartis dans 271 établissements.
Le coût estimé, sur une base de 72500 à 78500 audiences, est entre 21 811 563 euros et 29 736 545 euros selon le pourcentage d’audiences en vidéoconférences. Les équivalents temps pleins soignants (1 IDE, 1 AS et le psychiatre qui suit le patient) sont estimés entre 517,8 et 532,9 ETP. Ceci dans une période où les effectifs infirmiers sont soumis à des rigueurs budgétaires !

Ce à quoi, il faut rajouter les coûts des services de la justice (JLD, aide judiciaire, expertises…) eux-mêmes en grandes difficultés de fonctionnement compte tenu de la politique de RGPP.

Le JLD pourra être saisi ou se saisir pour demander une modification de la prise en charge, pour prononcer la mainlevée de la mesure d’hospitalisation après une expertise et l’avis du collège de professionnels.

Le collège de trois professionnels

Le projet de loi institue un collège de trois professionnels :
• un psychiatre participant à la prise en charge du patient ;
• un psychiatre ne participant pas à la prise en charge ;
• un représentant de l’équipe pluridisciplinaire participant à la prise en charge du patient.

Il est saisi pour :
• les mainlevées immédiates d’une mesure de soins psychiatriques pouvant être prononcées par le JLD ;
• les levées et les soins ambulatoires pour les patients déclarés irresponsables pénaux, (300 personnes) ;
• les patients séjournant ou ayant séjournés dans une UMD (unité pour malades difficiles) (700 par an) ;
• les patients admis en soins psychiatriques à la demande d’un tiers depuis plus d’un an (6 000 personnes par an).
L’étude d’impact3 considère que cela représente trois heures pour chaque membre. 271 établissements sont concernés, soit en moyenne 30 dossiers par an et par établissement.  

Le Conseil d’Etat devra par décrets définir les modalités de désignation et les règles de fonctionnement du collège. Nous pouvons nous interroger sur la place qu’aura le représentant de l’équipe pluridisciplinaire. 
Quels seront les critères qui préfigureront à son choix ? Sera-t-il un(e) IDE, une assistante sociale, un psychologue ? Sera-t-il porteur d’une décision collégiale permettant un véritable projet de soin du patient ? Quelle sera sa responsabilité ? Quel poids aura sa décision face aux deux médecins psychiatres ? 
Osera t-il s’opposer au psychiatre participant à la prise en charge dans la mesure où ils appartiennent à la même équipe de soins ou tout au moins au même pôle et alors qu’un lien hiérarchique fonctionnel ou direct existe ? 
Dans la première mouture du projet, c’était un cadre de santé qui devait siéger, appartenant ou non à la prise en charge. Ce qui posait en plus la question des établissements MCO ayant des services de psychiatrie où un cadre n’exerçant pas dans cette spécialité, aurait eu à se prononcer sur la poursuite ou non d’une hospitalisation.

Le programme de soins ambulatoires

Les soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou du représentant de l’Etat ambulatoires.
Bien que le projet maintienne le mode d’hospitalisation en première intention « lorsqu’une personne est admise en soins psychiatriques en application des chapitres II ou III (Les soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou du représentant de l’Etat ambulatoires) du présent titre, elle fait l’objet d’une période d’observation et de soins initiale sous la forme d’une hospitalisation complète ». 
Art. L.3211-2-2, la forme des soins pourra être ambulatoire selon un programme établi par un psychiatre participant aux soins, toutefois le cadre de ce programme (les types de soins, les lieux de leur réalisation et leur périodicité) sera défini par décret en Conseil d’Etat.

Nous avons là, la volonté de formaliser les anciens « congés d’essai ». Il a même été question d’un protocole, finalement abandonné au profit d’un programme, mais la nuance semble ténue.

Les équipes extrahospitalières auront un rôle de contrôle du respect du programme défini, au nom de la sureté des personnes et de l’ordre public, alors que leur activité est aujourd’hui de favoriser et d’accompagner le patient à un maintien dans son environnement. 
Une fois le programme établi, quelle évolution pourra être mise en place ?
Sera-t-elle soumise à une validation du représentant de l’Etat et à quel rythme ? 
Quelle liberté auront le médecin psychiatre et l’équipe pluridisciplinaire pour adapter le projet de soins du patient, au gré des rencontres avec ce dernier. 
Quelle participation réelle aura le patient dans la définition de ce programme ?
Comment pourra fonctionner l’alliance thérapeutique, base du suivi extrahospitalier, dans la majorité des cas ?

Avec quel budget, cette réforme sera financée puisqu’aujourd’hui non seulement les établissements sont confrontés à une pénurie des personnels médicaux et infirmiers mais ils sont aussi soumis à la rigueur budgétaire. Les prévisions gouvernementales ne semblent pas s’orienter vers le financement d’une augmentation de la masse salariale des établissements de santé. Il n’est pas envisageable que la mise en place des audiences au TGI ou dans une salle dédiée, les réunions du collège de professionnels et le suivi du programme de soins se réalisent en moyen constant.

Ce projet de loi pose aussi des questions éthiques :
• autour de la comparution devant le JLD, du programme de soins ambulatoires ;
• mais aussi sur la possibilité de demander la prolongation d’une mesure de soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou du représentant de l’Etat sur la base du dossier médical sans consultation du patient parce qu’impossible (art.3212-7 ; L.3213-3).   

Nous espérions que ce projet de loi s’inscrirait dans une véritable politique de soins en santé mentale prenant en considération la prévention, l’organisation de l’urgence psychiatrique, les besoins en structures médico-sociales pour réduire des hospitalisations au long cours, la prise en soins de populations spécifiques, la formation des personnels, la place des aidants et tant d’autres problématiques qui faute de projets cohérents noircissent un peu plus le quotidien des équipes de soins, des patients et de leur entourage.  

Christine ABAD
CNI du CH Montperrin
Aix-en-Provence


1 - http://www.senat.fr/leg/pjl10-566.html 
2 et 3 -  Etude d’impact
http://www.collectifpsychiatrie.fr/wp-content/uploads/2011/01/2010-12-24-Et-Impact-Projet-Loi.pdf

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