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jeudi 22 décembre 2011


Les femmes et la discrimination : Dépression, religion, société

Saïda Douki Dedieu, célèbre psychiatre tunisienne, professeur émérite de psychiatrie à la faculté de médecine de Tunis, professeur associée à la faculté de médecine de Lyon, est l’auteure de nombreuses publications. Parmi ses thèmes favoris de recherche on trouve le travail et la santé mentale des femmes.
Il y a encore tant à faire
Le livre, découpé en deux grandes parties, traite de la santé mentale des femmes et de l’impact des facteurs sociaux et religieux qui y sont liés. L’auteure tente de dresser un tableau complet de la condition de la femme à travers le monde et plus précisément celle des femmes musulmanes, fondé sur des études, enquêtes, statistiques et publications internationale, menées dans différents pays. Il apparaît que malgré l’évolution des sociétés sur des dizaines d’année, la condition féminine ne s’est guère améliorée voire pas du tout. À partir de situations sociales très précises, l’analyse démontre le lien entre le statut des femmes et leur santé mentale : dépression et anxiété jusqu’au suicide parfois. De nombreux thèmes sont explorés : le travail, la famille, le mariage, la liberté sexuelle, la virginité, les grossesses hors mariage, la mixité, l’éducation, le travail, la fidélité, la fécondité et l’infertilité, le divorce (forme moderne de répudiation), la ménopause, la situation des femmes atteintes de maladies mentales, la situation des femmes en prison... et enfin les violences contre les femmes (conjugales et domestiques, les mutilations génitales, le crime d’honneur, les femmes kamikazes). Les conclusions sont extrêmement inquiétantes et mettent en évidence de fortes régressions dans certains pays. 

Des valeurs traditionnelles refuges
À la lecture de cet ouvrage, l’émancipation des femmes est un mirage pour un grand nombre d’entre elles tant perdurent les résistances au changement. Question sous-jacente : “comment des sociétés du XXIè siècle tolèrent-elles les discriminations, les atteintes à la dignité et à la liberté des femmes ?”. Pour étayer ses propos, Saïda Douki Dedieu puise dans les écrits et la pensée de philosophes et chercheurs d’opinions diverses qui corroborent pourtant tous la rupture, mentale mais aussi physique. Elle énonce « Un décalage entre une législation émancipatrice et une réalité sociale imprégnée de valeurs traditionnelles » qui maintient les femmes dans un état de sujétion. Les violences sont commises sous l’alibi religieux justificatif. Cet alibi est démonté au travers de citations du Coran et du Prophète et l’auteur souligne que ces violences prennent leur source dans des coutumes culturelles ou traditionnelles. 

Mère, exclusivement
La dernière partie explore les responsabilités des hommes et des femmes, éducatrices quasi exclusives des enfants, sans place pour le père. Quel que soit le pays analysé, l’auteur démontre que la maternité est au cœur du destin féminin. La femme est “faite pour” être mère, pour s’occuper de ses enfants. En font la preuve de récents courants montants qui enferment les femmes dans ce rôle de mère, leur interdisant du même coup toute intégration dans la société professionnelle et donc l’accès à une certaine forme de liberté d’action. 

Quand l’élément féminin est séparé du masculin (absence de mixité), naître fille n’est pas une chance, voire une malédiction. Des injonctions lourdes sont portées par les filles : virginité, chasteté, honneur du clan... très pesant. L’objectif pour les parents est de réduire tout signe de féminité et de marier leur fille au plus vite. L’ensemble de ces contraintes et de ce poid culturel entraînent confusion mentale et perte de repères. À ces contraintes « avouées » s’ajoutent trop souvent inceste et violences sexuelles par des proches alors qu'elle n'est encore qu'une petite fille. L'impact de ces mauvais traitements est inquiétant pour la santé mentale des filles. Elles refusent de raconter, perclues de honte et de réfugient dans des dérives comportementales. Elles fuient dans les drogues et l’alcool, jusqu’au suicide. Les sociétés les plus archaïques continuent à tuer les fœtus filles et les très jeunes enfants de sexe féminin connaissent une mortalité très élevée par manque de soins.

L’occident loin de l’égalité
Même si elles ont pris conscience et subi les assauts des mouvements féministes, les sociétés occidentales ne sont pas exemplaires. Dans le monde du travail, le burn out est mieux reconnu mais hélas très féminin. Ses causes très fréquentes sont le manque de reconnaissance, la surcharge de travail, l’injustice salariale et d’évolution de carrière, le manque de soutien dans l’entreprise comme des proches, des perspectives réduites. Ces dysfonctionnements conduisent à des arrêts de travail de longue durée, des renoncements. La femme revient sur son désir d’autonomie et se« replie » sur sa maladie ou sur un faux choix maternel. L’auteur met également à plat et en cause les théories anglosaxones « maternalistes », les « bonding », les « co-sleeping ». Elle souligne, tout comme Élizabeth Badinter, Sylvia Agacinski ou Martine Storti, à quel point l’émancipation de la femme est en grand danger face à ces théories.

L’angoisse se décline au féminin. Les facteurs de stress aux effets pathogènes sont très nombreux. La dépression est deux fois plus fréquente chez les femmes que chez les hommes et devrait encore progresser dans les vingt prochaines années et est d’après l’OMS le plus lourd fardeau pathologique. Au cours de son exposé, le Professeur Saïda Douki Dedieu ne cesse de démontrer la corrélation entre le statut des femmes et leur santé mentale. Par conséquent, en faisant évoluer l’un, le second s’améliorera.
 
LES FEMMES ET LA DISCRIMINATION
Dépression, religion, société
Pr Saïda Douki Dedieu
Prix : 21,90 €
Ed : Odile Jacob, octobre 2011

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