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samedi 10 décembre 2011


Des soins en continu, loin de la rue

A Lille, un dispositif pilote reloge des sans-abri atteints de troubles psychiques.

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Par FABIEN SOYEZ De notre envoyé spécial à Lille
Mi-octobre, André, 45 ans, dormait encore sous une tente, à Lille. Atteint de troubles psychiatriques sévères, il vit aujourd’hui dans un studio de 25 m².«Il peut fermer les yeux sans avoir peur qu’on lui vole ses affaires», constate Boumédienne, infirmier. Avec ses coéquipiers, Stéphane, éducateur spécialisé, et Emma, psychiatre, Boumédienne fait partie de l’équipe d’intervention du programme «Un chez soi d’abord», porté par les établissements publics de santé mentale (EPSM) de Lille et l’Abej (Association baptiste pour l’entraide et la jeunesse). Mis en œuvre à Marseille, Toulouse et Lille depuis quelques mois, ce dispositif expérimental s’adresse aux sans-abri atteints de troubles psychiatriques sévères. Il sera également appliqué à Paris en 2012.
«Au lieu de passer par des étapes, on leur fournit directement un logement, explique Pascale Estécahandy, coordinatrice du programme. Dans la rue, l’accompagnement est haché. Grâce à un logement pérenne, les personnes peuvent bénéficier d’une continuité dans les soins.» A Lille, cinq personnes ont été relogées. L’objectif est d’arriver à une centaine d’ici 2012.
Recours. Diogène, l’équipe mobile de santé mentale de l’EPSM Lille-Metropole, est chargée de repérer les sans-abris candidats. «Ils doivent être sans enfants et en situation régulière, explique Jacques Debiève, psychiatre à Diogène. Ils doivent aussi accepter notre aide.» Pas question de les forcer.«C’est la plus grosse difficulté. Certains sont si malades qu’ils sont hermétiques à l’aide.» Seul recours : les soins sans consentement, sur décision médicale. «Une fois soignée, la personne pourra accepter notre aide et être logée.»
En France, 1 à 2% de la population souffre de troubles psychiques. Chez les SDF, le pourcentage grimpe à 30%, selon une étude de l’Inserm en 2009.«Les SDF sont déjà malades avant de se retrouver dans la rue, explique Alain Bonifay, de l’Unafam (Union nationale des amis et des familles de malades psychiques). A contrario, le risque de se retrouver à la rue quand on est en souffrance psychique est considérable. Si leur famille cesse de les soutenir, les malades ont du mal à conserver un travail, un logement.»
Le mois dernier, Julien, 29 ans, arpentait les pavés du Vieux-Lille et dormait sur des bancs. Il possède désormais un petit studio dans un quartier «qu’il connaît bien». «Ils peuvent choisir où ils veulent vivre, les meubles à installer. S’ils veulent une table et une chaise rouge, on les aidera à les trouver», lance Stéphane, l’éducateur. Budget par personne aidée : 1 000 euros.
Une fois par semaine, un membre de l’équipe rencontre les relogés. «On les suit médicalement, socialement, mais aussi dans les actes de la vie quotidienne. On les aide à remplir des dossiers administratifs, on sort avec eux, on visse des meubles… On est disponibles en permanence», via un portable d’astreinte.Car, comme l’explique Patricia Cabot-Gatin, directrice de la Fnars (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale) Nord Pas-de-Calais,«il n’est pas évident pour certains de se retrouver seuls dans un logement. Ils ont besoin d’un accompagnement, pour éviter les retours à la rue.»
Allocation. Pour les logements, l’Abej les loue à des particuliers, avant de les sous-louer aux anciens SDF, qui touchent l’allocation adulte handicapé (AAH) ou le RSA (revenu de solidarité active). «Nous en avons trouvé treize, dans le parc privé, indique Nadège De Dominicis (Abej). Et nous allons passer des contrats avec des bailleurs sociaux.» Elle avoue : «Les propriétaires et les bailleurs peuvent avoir des appréhensions à l’idée de loger des schizophrènes. C’est notre mission de les rassurer.» Pour cela, rien de mieux qu’un bail glissant ou l’intermédiation locative : «L’Etat sert de garant, et l’équipe d’accompagnement rassure.» Au DAL (droit au logement) Nord-Pas-de-Calais, Philippe Deltombe reste circonspect devant cette expérimentation.«Il manque 48 000 logements rien que pour la communauté urbaine de Lille. Avant d’en proposer, il faudrait déjà en disposer.»
Problème surmontable, rétorque Vincent Girard, psychiatre de rue à Marseille, à l’origine du programme : «Les logements, ce n’est pas ce qui manque ! En France, on compte 2,121 millions de logements vacants.» Il cite les dispositifs à l’étranger : «Aux Etats-Unis, dans les 200 villes où s’est développé le "Pathways to Housing", 30% des SDF chroniques ont été relogés en trois ans. L’hospitalisation des sans-abri y est en forte baisse.»
Avant fin décembre, l’équipe lilloise doit être renforcée par des médiateurs de santé. Pour Boumédienne, l’infirmier, «ils ont connu la jungle de la rue ou les services de santé mentale, ils pourront créer avec ceux que nous aidons un lien différent».

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