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mercredi 23 novembre 2011

Pression au travail, manque d'argent : ces patients qui refusent les arrêts-maladie

LEMONDE | 23.11.11

La question des arrêts-maladie donne décidément du fil à retordre au gouvernement. Après avoir renoncé à modifier le mode de calcul des indemnités journalières pour faire des économies, le voilà prêt à reculer sur le quatrième jour de carence pour les salariés du privé. Par deux fois, les mesures qu'il défendait ont été jugées injustes : elles touchaient les travailleurs dont l'entreprise ne compense pas la baisse de revenu liée à l'arrêt-maladie.

De quoi aggraver un phénomène observé par de plus en plus de médecins en ces temps de crise : le refus des malades de se mettre en arrêt-maladie. Un sujet peu documenté. "On en parle peu, sans doute parce que les arrêts-maladie sont un sujet tabou et qu'il est de bon ton d'estimer que les Français sont des fainéants", analyse Claude Bronner, du syndicat Union Généraliste. Ce médecin, qui se dit inquiet de l'augmentation de la souffrance au travail, voit souvent des patients qui lui font part des pressions de leur entreprise contre les arrêts.
Surtout, il y a le problème financier. Tous ne sont pas égaux devant la possibilité, ou non, de s'arrêter. Les médecins distinguent trois catégories : les fonctionnaires, assez bien protégés ; les salariés des grandes sociétés, pour lesquels il n'y a pas d'incidence financière quand ils se mettent en congé maladie ; et un troisième groupe, ceux dont les entreprises ne compensent pas les jours de carence, ni la baisse de revenu engendrée par le versement d'indemnités moins élevées que le salaire. Selon le gouvernement, seuls 30 % des salariés ne reçoivent pas de complément de salaire, un chiffre contesté par les syndicats."Même minoritaires, ces personnes sont nombreuses quand même", insiste le Dr Bronner, évoquant les smicards pour qui gagner moins est impossible.
Ne pas pouvoir s'arrêter peut constituer un frein à l'accès aux soins. Comme les dépassements d'honoraires, le coût des complémentaires santé, ou les délais d'attente auprès des spécialistes, motifs bien connus de renoncements. A ces réfractaires, les médecins donnent des arrêts, considérant qu'ils font partie de la prescription comme les médicaments. Mais ils savent pertinemment qu'ils n'en tiendront pas compte. Parfois, les malades s'arrêtent mais repartent travailleralors qu'ils ne sont pas guéris. D'autres reportent une opération, ne pouvant sepermettre plusieurs semaines d'arrêt.
"Tous les jours, un ou deux patients refusent que je les arrête. Ils disent ne paspouvoir se le permettre, mais aussi avoir peur d'être stigmatisés", constate Stéphane Pertuet, généraliste à Barentin (Seine-Maritime). Il décrit des actifs, souvent trentenaires, travaillant notamment dans le commerce. Il voit des employés municipaux qui ne veulent pas perdre leur prime de présence. Des malades parfois sous forte pression à cause de la crise, que ce médecin pousse à faire une pause. Dernièrement, il a réussi à convaincre un jeune homme : "Il avait honte d'expliquer qu'il craquait, il m'a demandé ce qu'il pourrait dire à son patron."
Comme beaucoup, il s'énerve de la pression de la majorité sur les arrêts-maladie. C'est aussi le cas de "docteurmilie", pseudonyme d'une jeune généraliste de Seine-Saint-Denis qui tient un blog. "Oui, je l'accorde, il y en a quelques-uns qui réclament des arrêts pour pas grand-chose, ou qui tirent sur la corde - "tant qu'à avoir trois jours, mettez-moi la semaine tant qu'à faire"" , y écrit-elle, estimant qu'il s'agit de cas marginaux. "Autour de moi, les gens ne prennent pas leurs arrêts-maladie. Faut-il en déduire qu'en Seine-Saint-Denis les gens sont plus courageux ?", affirme la généraliste, qui garde l'anonymat pour pouvoirraconter les histoires de ses patients.
Le "docteurmilie" voit aussi des malades qui refusent un congé maladie pour ne pas mettre leurs collègues dans l'embarras ou parce qu'ils ont peur d'avoirensuite trop de travail à rattraper. Pourtant, juge-t-elle, pour une tendinite ou un lumbago, mieux vaut s'arrêter quand ce n'est pas encore trop grave avant de finir"totalement bloqué". Pour limiter le coût global des arrêts, elle plaide pour une sensibilisation aux conséquences des abus et non une stigmatisation des malades. Depuis plusieurs années, l'assurance-maladie explore la question de référentiels de prescription pour guider les médecins, la durée des arrêts étant très hétérogène d'un praticien à l'autre. De quoi faire pas mal d'économies.
Jean-Baptiste Chastand et Laetitia Clavreul

"Des gens comme nous, faut pas qu'on tombe malade"

LEMONDE | 23.11.11

Un appel à témoignages sur les renoncements aux soins a été lancé sur Lemonde.fr. Sans surprise, les internautes ont raconté leurs difficultés à financerdes prothèses dentaires ou des lunettes. Certains ont préféré pointer un autre problème : leur impossibilité de prendre un arrêt-maladie.

Des congés plutôt qu'un arrêt. Evelyne Furling a 59 ans, et est à la retraite depuis septembre. De toute sa carrière de gérante de magasins dans la grande distribution, elle n'a jamais pris un arrêt-maladie. La raison en est simple : "Des trois sociétés pour lesquelles j'ai travaillé, aucune n'a jamais compensé ma perte de revenu", dit-elle. "Peut-être que dans les grandes entreprises à Paris c'est différent, mais en province, c'est le cas la plupart du temps", lance cette habitante de Belfort.
Pourtant, elle en a eu des problèmes de santé. "Même après mon opération du canal carpien, j'étais au boulot le lendemain, dit-elle. Je suis souvent alléetravailler alors que je ne tenais pas debout." "Mon médecin a fini par me dire que si ça continuait, il allait envoyer l'inspection du travail dans mon entreprise",s'amuse-t-elle. Son mari est cadre, ils ont trois filles. Chacune a fait une école de commerce. Avec les frais de scolarité, les logements à payer, pas question degagner moins.
"En cas de problème grave, je m'arrangeais avec mon patron pour prendre sur mes congés, et je faisais pareil avec mon équipe", se souvient-elle. Elle a souvent vu des employées au smic pour lesquelles s'arrêter était impossible.
Sans CDI, une opération du genou toujours décalée. Sarah Bonnefoy a 28 ans, habite en Savoie, a fait des études de droit et commencé à travailler comme clerc de notaire. Désormais, elle travaille dans des mairies, passant de CDD en CDD en espérant être titularisée. Les médecins ont beau estimer son opération du genou indispensable, elle ne cesse de la reporter. Pas le choix. "J'ai besoin de trois ou quatre mois d'arrêt à la suite de l'intervention, et en CDD, comme on est là pour peu de temps et qu'en plus on espère être renouvelé, on ne s'arrête pas.".
Les médecins estiment pourtant qu'elle ne doit pas attendre"Il s'agit juste d'une opération des ligaments. Le risque, c'est qu'il faille plus tard me poser une prothèse." Mais elle n'imagine pas une amélioration de sa situation professionnelle avant 18 mois.
L'arrêt-maladie est sa bête noire. Elle a travaillé un temps en intérim dans la banque. "J'ai été arrêtée une fois à cause d'une dépression après le décès de mon père. L'agence qui me proposait des contrats ne m'a ensuite jamais rappelée", se souvient-elle. Désormais, elle est reconnue travailleuse handicapée pour une autre raison médicale, mais craint qu'on hésite à l'embaucher de peur qu'elle tombe souvent malade.
Le patron dit "non". Emmanuelle (le prénom a été changé) préfère resteranonyme. Elle est assistance commerciale chez un négociant en vin. Elle a 28 ans, et gagne 1 500 euros net. C'est après être restée clouée au lit quatre jours, avec arrêt-maladie, qu'elle a découvert que son entreprise n'avait pas souscrit de contrat de prévoyance. Elle a perdu 200 euros. Elle voudrait être couverte, mais son patron, qui n'apprécie guère les arrêts de travail, ne veut rien savoir.
Elle vient donc toujours travailler"même malade". Le médecin peut bien luiprescrire un arrêt, elle ne l'envoie pas à la Sécurité sociale. Et croise les doigts pour ne jamais avoir d'accident, ce qui nécessiterait un arrêt long, et beaucoup d'argent en moins.
Au travail, malgré une fausse couche. Claudine Lopez, 40 ans, vit près de Vichy. Elle est assistante informatique en CDI et gagne le smic. Avec son mari, ils touchent 2 800 euros brut par mois. En 2009, elle a eu un arrêt-maladie d'une semaine. C'était la première fois en vingt ans. Cela lui en a coûté plus de 250 euros. "C'est énorme", dit-elle.
Une fois tout payé, le crédit de la maison, l'alimentation, le carburant, les assurances, la pension alimentaire que verse son mari à son ex-femme, il ne leur reste rien.
Mme Lopez ne posera plus d'arrêt-maladie. En août 2010, elle a fait une fausse couche, avec hémorragie : "J'étais anémiée, mon médecin a voulu m'arrêterquinze jours, mais je lui ai dit non et suis retournée, toute faible, travailler. Il ne pouvait pas m'obliger..." Elle a pris des vitamines et du magnésium. Son mari n'était pas vraiment pour, mais lui qui travaille dans le bâtiment ne s'arrête jamais non plus.
Mme Lopez a un sentiment d'injustice : "Ce n'est pas normal d'être dans cette situation, alors qu'on travaille dur et qu'on paye des cotisations." Le passage de trois à quatre jours du délai de carence, elle ne le comprenait pas : "Ceux qui pondent ce genre de mesures, ils n'ont certainement pas le même salaire que moi... Des gens comme nous, faut pas qu'on tombe malade."
Laetitia Clavreul

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