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samedi 16 juillet 2011

Je suis malade… Vite, sur Internet !
11.07.11

Le site de l'association "Les Petits Bonheurs" qui propose une aide au quotidien pour les malades atteints du sida.

Le site de l'association "Les Petits Bonheurs" qui propose une aide au quotidien pour les malades atteints du sida. DR

C
’est devenu un réflexe. Que ce soit pour des migraines, un mal de dos, à l’annonce d’un diagnostic médical ou pour un simple bobo, six Français sur dix se sont déjà renseignés sur Internet, selon un sondage CSA réalisé en février sur 995 personnes. Cette proportion atteint même huit sur dix chez les 18-24 ans.

Une fois en ligne, ces internautes se documentent bien sûr, mais échangent également conseils et impressions par ordinateurs interposés. Les 84 sites de santé-bien-être répertoriés en France ont rassemblé pas moins de 16 millions de visiteurs uniques en mai, selon Médiamétrie. Plus d’un internaute sur trois (38,7 %) est allé y faire un tour dans le mois.

Cette pratique, apparue au début des années 2000, bouleverse le rapport entre soignants et soignés, nombre de patients se présentant désormais comme des "experts" face à une profession médicale quelque peu déboussolée. On comprend aisément que le ministère de la santé ait donc mandaté le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGIET) pour tenter de mieux cerner le phénomène. "Nous avons cherché à comprendre ce qui se passe en ligne, afin d’encourager les bonnes pratiques, mais aussi à inciter à la prudence sur des approches moins favorables du point de vue de la santé publique", explique Robert Picard, référent santé du CGIET.

Sous la houlette de cette institution, deux sociologues, Gérard Dubey et Sylvie Craipeau, viennent donc de plancher pendant un an , un travail dont Le Monde a pu prendre connaissance en exclusivité. Dans le cahier des charges de ces observateurs, de multiples interrogations. L’information de santé en ligne est-elle fiable ? Implique-t-elle des risques ? Cette pratique en réseau favorise-t-elle la construction d’un savoir spécifique ? Et si oui, lequel ? Ces chercheurs se sont volontairement limités à trois pathologies : le cancer, le sida et l’autisme.

UNE EXPRESSION SOUVENT VIOLENTE ET CRUE

Première constatation, la Toile est un formidable réceptacle des maux des Français. Internet rassemble une masse d’informations d’autant plus inédites que "pour de nombreuses pathologies, notamment cancéreuses, les récents progrès de la médecine allongent les périodes de rémission, certaines affections étant devenues non létales", explique Gérard Dubey. Les internautes s’épanchent alors "sur fond de maladie chronique, poursuit-il. C’est une nouvelle expérience qui se véhicule en ligne".

De fait, le Net regorge d’informations pour le moins anxiogènes qu’il est nécessaire de prendre avec distance, estime ce chercheur. "A l’annonce d’un diagnostic, les malades sont souvent victimes de ce que l’on appelle un effondrement de l’identité. Ils vont alors sur Internet, principalement la nuit, pour décharger sans limite leurs angoisses", note-il.

Principal problème de cette confession en ligne, "les internautes ont tendance à projeter leur espace privé dans l’espace public", explique le sociologue : les malades s’expriment souvent de façon violente et crue sur leurs problèmes, "sans code ni médiation pour ménager celle ou celui qui va recevoir le message", ajoute M. Dubey.

Ce facteur est d’autant plus "aggravant" que ce sont souvent des personnes "elles-mêmes fragilisées par la maladie" qui vont chercher de l’information en ligne. Particulièrement concernés par ce phénomène, les sites santé généralistes qui drainent une audience de masse, et sur lesquels certains malades n’hésitent pas à utiliser leur pathologie comme "une sorte de revendication identitaire", poursuit Sylvie Craipeau.

"CES SITES RÉPONDENT À UN MANQUE"

Cependant, note la sociologue, la parole en ligne semble mieux canalisée sur de petits forums, souvent spécialisés sur une pathologie précise, comme les sites créés par des associations de malades. "Nous avons remarqué que des normes implicites se mettent alors en place, explique-t-elle. Les internautes se retiennent, ne disent pas tout, pas n’importe quand. Cela ressemble davantage à une petite société." Sur ces sites peuvent notamment s’organiser des projets communs comme "la circulation de modules éducatifs pour des enfants autistes, ou encore des propositions d’aide au quotidien pour les malades du sida, sur le site de l’association Les Petits Bonheurs", illustre la chercheuse.

Plus généralement, le succès de ces réseaux et forums doit, selon ces observateurs, être une source de questionnements pour le corps médical. "Ces sites répondent à un manque. Les malades vont chercher sur Internet des savoirs pratiques et un échange de vécu qu’ils n’ont que très rarement chez le docteur ou plus généralement dans l’institution médicale", note M. Dubey. Les internautes s’échangent bonnes pratiques, régimes alimentaires, conseils d’hygiène mais aussi des sujets de préoccupation très intimes, comme le devenir des relations sexuelles après une chimiothérapie, par exemple.

Sur certains sites se construit alors "un savoir profane, pratique, complémentaire du savoir expert des médecins". "D’ailleurs, note Gérard Dubey, certains malades revendiquent ce savoir comme un facteur participant à l’amélioration de leur état." Peut-on y voir l’amorce d’un cercle vertueux ? "Le temps où le docteur de famille prenait du temps et devinait un problème de santé à la façon dont son patient entrait dans son cabinet semble dépassé, remarque le sociologue. Certains médecins, s’estimant victimes de leur hyper spécialisation technique ou de leur manque de temps, sont demandeurs de ce nouveau type d’informations, de ce vécu exprimé en ligne."

Comme si les réseaux et forums réussissaient à redonner aux malades une importance et une place qu’ils ont peu à peu le sentiment d’avoir perdues. Intéressée par ces résultats, la Haute Autorité de santé envisage d’approfondir ces pistes de recherche.
Laure Belot

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