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dimanche 17 juillet 2011

Des fous pas si furieux

Analyse

Un rapport dévoilé jeudi va à l’encontre des clichés sur la dangerosité des malades mentaux.
Par ERIC FAVEREAU

Un patient sur un banc dans la cour de l'hôpital psychiatrique Saint-Jean de Dieu à Lyon, le 17 décembre 2006 (AFP Jean-Philippe Ksiazek)

La Haute Autorité de santé (HAS) est bonne fille. Elle, qui est censée faire des choix en matière de santé, a eu la délicatesse de ne rendre public que jeudi son rapport sur la question de la «dangerosité chez les malades mentaux». Soit deux jours après la promulgation de la nouvelle loi sur l’enfermement sous contrainte. Bizarre, non ? D’autant que ledit rapport, pourtant terminé depuis mars, fait un point, honnête et documenté, sur cette question. Et, au final, prend le contre-pied des clichés établissant une sorte d’équation entre fou et dangereux, clichés qui ont fortement inspiré le texte de loi sur la psychiatrie.

«Exceptionnel».
«C’est honteux ce que l’on a pu entendre ces derniers mois, a rappelé, jeudi, Claude Finkelstein, présidente de la Fédération des associations de malades mentaux. A chaque fait divers, on pouvait lire : "Un schizophrène a tué." Comme s’il y avait un lien automatique. Personne n’oserait écrire : "Un Noir a tué." Mais, là, cela ne choque personne.» Une colère que les chiffres du rapport rendent légitime. La Haute Autorité a recensé toutes les études sur ces questions. «Dans les études internationales disponibles, les individus souffrant de troubles mentaux graves sont 4 à 7 fois plus souvent auteurs de violences que les individus sans trouble mental, mais ils ne sont que rarement auteurs d’actes de violence grave : environ un homicide sur 20 actes de violence, voire un homicide sur 50 [soit de 2 à 5 % des homicides, ndlr].» En France, on estime que 1% de la population souffrirait de troubles schizophréniques et 1% de troubles bipolaires. Ces personnes seraient à l’origine de 3 à 5% des cas de violence.

«C’est le premier constat qu’il faut répéter : le passage à l’acte violent chez un malade reste exceptionnel,
explique le professeur Jean-Louis Senon, psychiatre à Poitiers, et qui a présidé les auditions à la base du travail de la HAS. Ce n’est ni la règle ni l’habitude. Pour les agressions sexuelles, les malades mentaux sont même très peu représentés : moins de 5%.» Comme le notent d’autres études, les malades mentaux sont bien plus victimes qu’acteurs. «Ils subissent de 7 à 17 fois plus d’actes violents que la population générale»,insiste le professeur Senon.

Même si ces actes violents sont marginaux, ils existent. Et les données indiquent que, proportionnellement, les malades mentaux commettent plus de violence qu’un citoyen lambda. Mais est-ce si automatique que cela ? Ces actes violents sont-ils liés aux troubles mentaux ou à d’autres éléments ? Le professeur Senon met en avant une série de facteurs de risque, comme le sexe (ce sont surtout des hommes), l’âge (ils ont plutôt moins de 40 ans), mais aussi la précarisation de leur situation, les difficultés d’insertion sociale et, surtout, la consommation d’alcool ou de drogues. Plus éclairant encore, la rupture dans la continuité des soins est un facteur de risque majeur. «C’est bien souvent dans les semaines qui ont suivi une hospitalisation que le risque est le plus élevé, surtout quand la prise en charge est peu suivie»,note ce psychiatre. Exemple : dans le cap des vingt semaines après la sortie de l’hôpital, il y a quatre fois plus de risques qu’un malade commette un acte violent lorsqu’il est vu seulement une fois par mois en consultation, et non pas une fois par semaine. Comme si, en somme, la violence venait plus d’un déficit de lien thérapeutique que de la maladie elle-même.

«Il faut revenir à la clinique»,
insiste Jean-Louis Senon. C’est-à-dire le soin, l’hospitalité, la prise en charge. «Il faut observer et être très attentif», martèle le rapport de la HAS, qui note que des signes d’alerte existent et qu’il faut savoir les repérer.

Paranoïde.
Le rapport énumère ces signaux : «En cas de troubles schizophréniques, les équipes soignantes doivent être attentives à des signes cliniques d’alerte tels qu’un délire paranoïde avec injonction hallucinatoire, des idées délirantes de persécution avec dénonciation d’une personne considérée comme persécutant le malade, etc. Et bien sûr, une consommation importante d’alcool ou de substances psychoactives.» Les déprimés peuvent être aussi violents. «Les équipes soignantes doivent être vigilantes à des signes tels que l’importance de la douleur morale, des idées de ruine, d’indignité, etc., mais aussi un sentiment d’injustice ou de blessure narcissique.»

Comme le note la HAS, ces signaux peuvent être repérés par l’entourage familial, par les équipes soignantes voire par les patients eux-mêmes. «Etre attentif et à l’écoute des proches permet souvent de désamorcer un possible passage à l’acte violent», conclut sans ambiguïté le rapport. «Si les députés avaient vu le rapport, ils n’auraient jamais voté ce texte de loi qui ne préconise que l’enfermement», déplore Claude Finkelstein.

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