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dimanche 3 avril 2011

Quatre murs de murmures


DR
A l’ombre de la République
Documentaire de Stéphane Mercurio
Canal +, rediffusion le 04/04.


« Je suppose que vous faites comme tout le monde : vous jetez vos repas à la poubelle… » Oui, comme tout le monde, répond la détenue. L’homme tourne le bouton de la douche, un faible filet d’eau s’échappe. Trop faible : les femmes de la cellule se lavent au seau. On évoque les parloirs, les coups de téléphone à la famille, le prix de la télé. L’homme est « contrôleur des lieux de privation de liberté ». Comme une trentaine de collègues, il s’assure que les droits fondamentaux sont respectés dans les lieux d’enfermement. Et en prison, en hôpital psychiatrique, dans les commissariats ou dans les centres de rétention, les droits fondamentaux, c’est aussi ça : un repas servi chaud, une douche qui coule assez pour se laver.


Fait exceptionnel, la réalisatrice Stéphane Mercurio a pu accompagner les équipes du contrôleur général des lieux de privation de liberté, l’autorité indépendante créée en 2008 par Nicolas Sarkozy, et qui vient d’échapper à la disparition que lui promettait le même Sarkozy (c’est très pénible au fond, ces institutions qui se permettent des remarques). La réalisatrice a pénétré des lieux fermés à double tour, gardés loin de tous les regards. Elle a pu recueillir des paroles rares, hors du contrôle de l’administration pénitentiaire.

A la maison d’arrêt de femmes de Versailles (Yvelines), ces paroles disent « favoritisme », « chouchoute ». Les contrôleurs ont reçu plusieurs lettres leur signalant « une compromission un peu fâcheuse » entre un membre de la direction et une ou deux détenues, dit Jean-Marie Delarue, le contrôleur général. Le scandale va éclater quelques mois plus tard et le documentaire en filme les prémices : le directeur de la maison d’arrêt et un surveillant ont eu des relations inappropriées avec Emma, la jeune fille appât du « gang des barbares ». Lors de sa suspension, pour sa défense, le directeur dira être tombé amoureux. Les détenues, elles, rapportent que la favorite se faisait appeler « la directrice » et se promenait à volonté dans les couloirs de la prison.

Après la prison de femmes, c’est l’ennui dans les chambres rose de l’hôpital psychiatrique d’Evreux (Eure). Jusqu’à la nuit, les contrôleurs épluchent les registres, demandent des comptes au médecin, soulignant de l’index des entrées et des sorties, s’alarment du nombre d’internements décidés sur arrêtés municipaux, sans certificat médical. « Il y a un protocole ici, raconte un malade. Tous les après-midi, il faut rester dans sa chambre et dormir. Mais moi, je n’ai pas sommeil. Alors le soir je n’arrive pas à m’endormir, et ils me donnent des somnifères… »

Camisole chimique, aussi, dans la prison moderne et gigantesque de Bourg-en-Bresse (Ain). « Un jour j’ai dit que j’avais mal à la tête, dit un détenu. Depuis, toutes les semaines, ils m’amènent un sac de médicaments. » Il montre une poche en plastique, bourrée de comprimés. La dose hebdomadaire qu’il rend aux infirmiers, sans se lasser, semaine après semaine. Un autre : « Ici, ils adorent les détenus sous cachets et les anciens toxicos, ceux qui sont au ralenti : ils ont un contrôle chimique sur eux. Les autres, ceux qui ont un peu de jugeote, un peu de mental, comme moi, ils les séquestrent. »
Du quotidien étouffant, vexatoire (il est d’ailleurs dommage que les personnels de surveillance aient, selon la réalisatrice, refusé de se confier), le documentaire passe à la critique sensible d’un système, à l’absurdité de la peine quand elle est trop longue, quand elle ne comprend aucun accompagnement. C’est le passage le plus émouvant, le plus terrible : les cafés-bus en compagnie des « longues peines » de la maison centrale de l’Ile-de-Ré (Charente-Maritime). Ici, des hommes qui purgent vingt, trente ans, perpète. « J’ai 63 ans, vingt-sept en taule. Je tiens grâce à ma femme, elle a 64 ans maintenant, mais le jour où elle m’attendra plus… » « J’ai été condamnée quand j’avais 18 ans, dit un autre. Ça fait trente et un ans. À mon procès, le procureur avait requis la peine de mort. Si j’avais su que c’était la peine de mort ou la perpétuité réelle, mon choix aurait été vite fait. »

Le plus étonnant dans le film de Stéphane Mercurio, c’est le nombre de détenus qui parlent à visage découvert et savent, ils le disent, les rétorsions prochaines. « Ils n’ont pas voulu être floutés, dit la réalisatrice. Eux qui sont si souvent niés ont soif de témoigner. » Ce que constate aussi Jean-Marie Delarue : « Ces lieux sont effacés - on ne sait pas ce qu’il s’y passe — et les personnes à l’intérieur s’effacent aussi, doucement. On ne les voit plus. À force, ce n’est pas seulement leur trace dans la société qui s’efface, c’est leur personnalité. » Il y a deux lieux où la caméra n’a pas pu entrer : les commissariats et les centres de rétention. Tous deux dépendent du ministère de l’Intérieur.

Paru dans Libération du 23 mars 2011

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