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jeudi 14 avril 2011

Quatre bombes à fragmentations mises dans la loi afin de détruire la psychiatrie

Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux
10 Avril 2011
                                                                                             
Quatre bombes à fragmentations mises dans la loi afin de détruire la psychiatrie 

Ce sont les quatre idéologies cachées dans cette loi :1- le refus de prise en considération des besoins sociaux des patients, 2- l’urgence désignée comme seul symptôme, 3- l’obligation de soins comme seule réponse efficace, 4- le médicament comme seul soin fiable.

La loi une fois appliquée (ce qui semble impossible) va montrer peu à peu qu’elle est habitée par quatre idéologies dont l’effet va être progressif comme de vraies bombes à fragmentation détruisant d’abord les institutions puis s’acharnant sur chaque patient. Tableau apocalyptique ! Dites-vous ? Nous allons voir.

En ce beau samedi d’avril il ne fallait pas manquer la provocation des 39 à venir échanger sur la folie et la loi, près de la statue de Pinel devant l’hôpital de La Salpêtrière. C’est là que, non pas lui d’abord, mais un gardien du cul-de-basse-fosse de cet hôpital où les fous étaient enchainés et traités comme des bêtes sauvages, Pussin et sa compagne allaient, en enlevant leurs chaines, créer la première psychiatrie humaine. Ils allaient montrer de 1975 à 1980, Pinel les ayant rejoint, que « la folie totale n’existe pas, et que chez chaque personne troublée persiste une part de raison gardée ». La psychiatrie humaine, hors obligation, était née, et le soin par la parole reconnu comme premier soin, hors toute contention. C’est cette psychiatrie que les élus de la Nation veulent détruire aujourd’hui. Nous sommes donc en pleine absurdité.

Hervé Bokobza brillant animateur des débats des 39 me voyant arriver me demande de dire quelques mots sur l’actualité de la loi. J’avais encore à l’esprit les échanges du matin sur les articles de Médiapart, et les réactions des lecteurs étaient si pertinentes, si percutantes que j’ai eu aussitôt envie de les transmettre là. Il s’agissait de ces quatre « bombes », je les en remercie, car ceux qui entouraient Pinel ont apprécié leur pertinence. Voici ces quatre idéologies, bombes cachées dans la loi, démasquées ce matin.

La première
est le refus de prendre en considération comme question de départ essentielle les besoins sociaux des personnes présentant des troubles psychiques graves. Pourtant ces besoins sont des besoins vitaux, ils sont donc primordiaux. Nous avons la chance en France que d’autres élus sous l’impulsion des familles et des usagers aient eu l’intelligence de promulguer la loi de 2005 sur l’accès aux soins et à l’égalité des chances pour les personnes en situation de handicap. Cette loi a ouvert le chemin pour proposer des compensations aux difficultés sociales en complément des soins, il faut maintenant l’appliquer. Par contre la loi actuelle sur la psychiatrie ne s’en préoccupe pas et croit pouvoir se limiter à un seul aspect celui appelé abusivement urgence.

Rappelons que Franco Basaglia (ce psychiatre italien novateur, si mal connu des français), lorsqu’il recevait un patient ne se mettait pas d’abord à la recherche de ses symptômes, avant il posait les questions suivantes : « Monsieur, avez-vous un logement ? Vos ressources sont-elles suffisantes ? Vos liens sociaux sont-ils solides ? ». Ensuite seulement il s’occupait de sa vie psychique. Il savait que s’il ne s’occupait pas des besoins sociaux d’abord, non seulement il bâtirait les soins sur du sable, mais de tels soins sans appui aggraveraient les troubles !

L’idéologie cachée dans la loi veille à écarter ces besoins sociaux, sachant qu’elle fait coup double dans l’unique intérêt de l’Etat actuel : elle fait de fortes économies en écartant tout recours à la solidarité nationale, et de plus elle fragilise encore les patients ayant des troubles psychiques graves en leur apportant les seules réponses psychiques, car elle en fait une « clientèle captive » des institutions de soin.
La seconde idéologie cachée est celle d’affirmer que « tout en psychiatrie serait urgence». Affirmation fausse qui permet de déplacer et concentrer toutes les réponses de soin en quelques lieux concentrés, et de donner des troubles « une représentation théâtrale dramatique ». Le tigre de papier des urgences met en scène pour les médias la prétendue dangerosité, mais évite de souligner que les troubles aigus qui apparaissent le plus souvent progressivement peuvent tout à fait être reconnus et soignés à temps avant d’exploser.

L’idéologie de la dramatisation de la folie permet au nom d’un danger fantasmatique d’opposer à la folie des armes lourdes aux conséquences inattendues. Non seulement celles-ci sont tout à fait disproportionnées à l’objectif, mais en dramatisant les rencontres elles les déforment, les aggravent, provoquent des interférences qui font perdre les raisons simples et relationnelles des souffrances psychiques et des troubles. La volonté de « tout monter en épingle comme urgence » provoque une escalade. Les acteurs se croient obligés (ils vont l’être dans la loi) de faire d’emblée un diagnostic, au lieu de chercher à établir la confiance, et d’imaginer sans délai un traitement, au lieu de permettre à la personne de commencer à s’intéresser à son psychisme, sous prétexte qu’il faut aller vite. Une telle démarche est fausse : l’outil essentiel des premières rencontres avec une telle personne c’est de prendre le temps suffisant pour que le calme et la confiance s’installent. Ceci est simple et facile à partir du moment où, avant l’arrivée de l’urgence, la disponibilité de l’équipe de secteur présente en ville hors hôpital 24/24h offre un recours à toute inquiétude, hors climat dramatique ; là, l’entourage de la personne participe à la création de ce climat, alors que dans toutes les urgences le premier réflexe est d’écarter familles et amis traités comme gêneurs alors qu’ils sont des appuis indispensables. Aux urgences on sort les armes lourdes diagnostic, traitement immédiats, orientation ailleurs le plus vite possible (alors que l’essentiel est de créer un « lien durable » s’appuyant sur la confiance, seul vecteur du soin psychique), et l’orientation la plus garante de tout risque sera la plus lourde et la plus fréquente : l’hospitalisation ; chaque acteur a « bravement et faussement », logique de la couverture tirée à soi).

L’idéologie de l’urgence, avec sa variante prônée par certains, l’intervention à domicile systématique (alors qu’il faut la débattre chaque fois), massacre la psychiatrie, en obligeant de choisir de préférence, par crainte du risque, les solutions les plus lourdes qui vont en réalité constituer des filières ségrégatives, comme le dénonce Roger Misés pour les enfants et adolescents, filières dont le patient isolé aura de plus en plus de mal à se dégager. Cette idéologie s’appuie sur la peur de la folie et la cultive. L’escalade que provoque l’urgence est la grande mystification imposée à la psychiatrie par cette idéologie.

Nous devons donc lui opposer cette pratique concrète simple, qui a donné ses preuves, et qui n’est pas une idéologie : la pratique de l’écoute de la personne, son accueil et celui de son environnement relationnel qui vont construire un espace où la personne retrouve sa liberté face aux pressions internes et externes qui l’assaillent. Ceci se déroule dans les espaces simples de l’équipe de secteur, sans armes lourdes, en dehors de tout hôpital. Cette disponibilité est l’un des fondamentaux de la politique de secteur.

La troisième idéologie cachée est constituée par les conséquences voulues mais masquées de « l’obligation de soins ». Les promoteurs de la loi n’ont pas expliqué clairement qu’ils nient par ce terme l’existence de la maladie mentale, ils la traitent comme une maladie physique (que chacun voit), ou comme un comportement délinquant (qu’il suffit de remettre en place). Les auteurs de cette loi en effet pensent qu’il suffit de désigner la maladie à la personne rétive pour qu’elle la reconnaisse, et qu’il suffit de la convaincre du bien fondé d’un traitement pour tout résoudre selon leur idéologie.
C’est très grave : cela veut dire qu’ils refusent le constat fait depuis Pinel que toute maladie psychique grave est centrée par un délire qui occupe une part de sa vie psychique, et que, fait central, la personne n’en a pas connaissance. Ce n’est pas un refus, ni un refoulement, c’est le point le plus complexe de la psychiatrie, c’est un déni : elle vit cette réalité délirante, mais ne sait pas que cette réalité est différente du monde que nous partageons avec l’autre partie d’elle même. L’idéologie masquée appelle ce fait de noms divers accumulés par des descriptions superficielles : agitation, excitation, angoisse, dépression grave, démence, violence, agressivité, etc., et à chaque fois elle fait le même constat : la personne pourtant allant très mal aux yeux de tout le monde « ne demande pas de soin, et à toute proposition pour la soigner répond qu’elle n’a pas besoin de soin », elle répond de la même façon malgré ce que l’on croit être une diversité de maladies et de troubles. C’est toujours en fait un seul trouble, le déni qui la fait réagir ainsi. Il y a une vraie unité et une constate dans cette attitude, les familles la connaissent bien. Le point central de la psychiatrie se trouve là. Et nous savons tous, soignants, familles, acteurs civils que la personne alors est insensible à toute explication, à tout raisonnement, et que même si une injection médicamenteuse arrête une agitation anxieuse (agitation interprétée sauvagement comme une violence, voire une agressivité lucide), le déni persiste. Ainsi « l’obligation de soin est un contre-sens clinique central » puisqu’elle heurte de plein fouet, elle refuse, elle écrase cette méconnaissance qui fait partie intégrante de la personnalité de ce malade. Elle va donc provoquer une escalade de défenses que cette idéologie appelle abusivement violences alors que la personne tente de « survivre », alors que la personne a besoin de confiance, de calme, de liberté. Il est tellement plus simple pour les idéologues du tout sécuritaire et du risque zéro de ne s’embarrasser d’aucune hésitation, d’aucune perte de temps, d’aucune dépense et de décider qu’il suffit de constater que les malades mentaux refusent de se soigner, et qu’on va donc les « obliger » à se soigner, c’est à dire à prendre des médicaments, dernière idéologie démasquée dans la loi.

La quatrième idéologie a été dévoilée par la maladresse de deux professeurs de psychiatrie (Le Monde.fr du 8 avril 2011) qui on déclaré naïvement qu’ils la trouvaient très bien cette loi, et qu’il ne fallait pas l’attaquer. En effet si nous nous penchons sur l’activité des professeurs qui se sont organisés pour travailler en dehors du service public de psychiatrie 60 (dont on peut écarter 20 pour les enfants et ado) pour 65 millions d’habitants et 1127 équipes de secteur et 4000 postes de praticien, on observe qu’ils veulent exercer « tranquillement » loin de l’agitation, donc très contents qu’une loi les débarrasse des cas « lourds » qui font du bruit dans leur service.

Mais nous découvrons l’idéologie masquée : « les professeurs sont la cheville ouvrière des médicaments ». Ils sont la plate forme essentielle des « essais cliniques » dont ont besoin les laboratoires pharmaceutiques, d’autre part puisqu’ils ne sont pas sectorisés ils n’enseignent ni psychothérapie institutionnelle, ni psychothérapie, et se limitent aux seuls médicaments. Nous comprenons (autre réalité cachée de la loi) que le seul traitement qui pourra être utilisé dans les trois formes d’obligation de soins sera les médicaments : les seuls traitements que l’on peut désigner par leur assignement à tel ou tel symptôme, avec des doses qui sont précises, ce que vont s’efforcer d’avaliser les professeurs. L’obligation de soin va entrainer les laboratoires pharmaceutiques à régner en maitres absolus sur la psychiatrie, sans concurrence. Pourtant ce monopole va avoir un certain nombre de conséquences cachées : d’une part la plupart ont, à côté d’un effet connu, des « effets secondaires », plusieurs étant nocifs, et dont l’un des aspects les plus inquiétants est de ne se déclarer qu’après plusieurs années de prescription (obésité, diabète, hypertension, puis atteintes du cœur, de la rétine, etc.,), d’autre part ils pervertissent la pratique psychiatrique car ils s’attaquent aux seuls symptômes et considèrent l’humain comme un être végétatif que l’on traite comme tel (l’état végétatif est souvent le résultat obtenu), sans aboutir à aucun changement psychique profond, ne modifiant jamais un délire.

En même temps cette idéologie va aboutir à son autodestruction, car s’il est possible de préciser le nombre de molécules données, il n’existe aujourd’hui aucune certitude sur leur efficacité précise. Si bien que lorsque l’obligation de soins, et donc de prise ou d’injection de médicaments aura été prescrite, il n’existe aucune certitude ni clinique ni biologique de son degré d’efficacité ; de ce fait la logique de précaution devant le risque et le besoin de sécurité ne pourra empêcher l’escalade et les accidents qui ne tarderont pas à se multiplier. Comme cette logique de sécurité sera à la portée de tout un chacun (voisin, généraliste, famille, ou autre) pour signaler une éventuelle survenue ou aggravation de troubles, le recours à l’obligation de soins vérifiée et supplémentaire sous forme de médicament sera « obligée ». L’injection de neuroleptique, grâce, au besoin, à des « officiers de santé » musclés, saura mettre fin à toute résistance !

Les fameuses injections « retard » donneront tout confort aux … prescripteurs

Devant autant d’immédiateté, de célérité de réponse à tout symptôme tous les autres traitements seront invalidés : la psychothérapie trop lente et trop propre à chaque soignant.
Mais étonnant retournement des choses, devant les excès des médicaments, devant leur inefficacité sur la maladie mentale au long cours, devant leurs complications croissantes, les médicaments seront bientôt reconnus dans la population comme étant, à l’instar de ce qui se passe avec la psychiatrie dans tout pays totalitaire, une arme purement politique de mise à l’écart des opposants trop bruyants au régime. Et ceci sera dramatique aussi, la population n’aura plus confiance en eux, alors qu’ils sont indispensables : en effet les médicaments encadrés par un soin psychothérapique, prescrits avec un vrai sens clinique, associés à des soins institutionnels et physiologiques, sont dans un très grand nombre de cas un appoint essentiel permettant l’accès à la parole, aux échanges, sauvant régulièrement des vies.

Ce n’est pourtant pas sur ces bases que beaucoup de laboratoires pharmaceutiques ont lancé leurs recherches, ce n’est pas dans le but de jouer les entremetteurs avec des entreprises industrielles pharmaceutiques que les professeurs de psychiatrie ont choisi leur carrière, cependant nous connaissons le poids des « mises en place » et des « logiques majoritaires ou exclusives », elles « aliènent les hommes les plus normaux » qui ne peuvent plus se libérer de ces emprises tentaculaires. Nous connaissons de plus en plus l’infiltration par les logiques envahissantes comme celles de la sécurité, du risque zéro, de précaution, comme nous l’a montré le

Contrôleur des espaces de restriction de liberté, JM Delarue.
Et pourtant dans le champ de la psychiatrie nous avons au moins quatre outils de base que chacun peut examiner, discuter, aménager, et qui ne sont donc pas des idéologies dogmatiques

1-l’essentiel qu’est « pour chacun de ceux qui rencontrent ces personnes la recherche en premier d’une attitude humaine », même dans les moments les plus difficiles

2-l’intérêt porté aux difficultés sociales et les réponses à chercher

3-la mise en place d’une disponibilité 24/24 h de soignants dans toute équipe de secteur, donc en proximité, elle permet avant tout soin, d’instaurer confiance et dialogue sans préalable

4-le soin de base qu’est « la psychothérapie », tout patient est en danger si elle n’est pas en première ligne du début à la fin des soins.

Dans l’immédiat nous avons deux objectifs à réaliser :
--en attendant l’abrogation de cette loi en 2012 nous avons toute une année pour expliquer aux élus sereinement, et sans passion la réalité de la folie et de la psychiatrie (nous avons constaté au fil de cette semaine au Café Picouly comme ce samedi à l’ombre de la statue de Pinel avec les 39, que les élus à droite comme à gauche restent sur des idées sur lesquelles ils se sont bloqués idéologiquement, sans admettre un instant de les discuter, le rapporteur de la loi ne parlant que de danger, un éminent représentant de la gauche défendant devant les 39 un grand laboratoire ne connaissant que médicaments et gênes, fondamental - ment. Les élus non seulement sont ignorants, mais sont pré-armés contre tout débat, comme l’opinion ?
--un grand travail pédagogique à l’échelle de la France (c’est possible si nous le commençons simultanément à l’échelle humaine de chaque secteur) sur la réalité des connaissances de la psychiatrie et de l’action sociale, et surtout sur la vraie réalité de la folie et sa reconnaissance comme une richesse de l’homme, nous amenant à parler de solidarités.

Ce fut un très rare samedi de printemps à Paris à l’ombre de Pussin (dont la statue manque encore) et des 39 qui nous ont permis d’aborder des questions aussi graves tout en étant dans la fête tout au long de la journée. Nous avons été émus de voir des usagers, des familles, des amis non vus depuis 10 ou 30 ans nous saluer, nous remercier, et tous se mettre à espérer.

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