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dimanche 10 avril 2011

Ne refusons pas la loi sur la psychiatrie


L
a loi relative aux "droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques" a été votée le 22 mars à l'Assemblée à l'assemblée natinale. Faut-il la refuser, comme le préconise le Daniel Zagury dans une tribune publiée dans Le Monde le 21 mars ?

A lire les débats qui ont précédé le vote et conduit à de multiples amendements, cette loi a choqué dans chaque camp. Un élu marseillais rappelait à droite qu'il voyait tous les jours des agressions commises par des fous. On exprimait à gauche la crainte de voir la France tomber dans la nuit sécuritaire. A droite, le droit à l'oubli divisait les rangs. A gauche on ne parvenait pas à s'entendre sur les rôles respectifs du juge et du médecin. Comment faire entendre à cet élu des quartiers sud de Marseille que les premières victimes de violence sont les malades mentaux eux-mêmes ? Mais comment dire aussi à ces élus de gauche qu'une conception angélique des droits de l'homme n'a jamais fait progresser la psychiatrie ? Comment dire à nos collègues psychiatres des hôpitaux publics que cette loi, en prônant des interventions plus rapides et des soins protocolisés, ne remet peut-être pas nécessairement en cause ce que nous appelons l'esprit du secteur ?

Cette loi est fortement ancrée dans le sens commun, elle rappelle des évidences et notamment celle-ci : tout citoyen, même le plus fou, aspire à la sécurité. La première insécurité est celle que vivent les malades mentaux. Une autre évidence : tout citoyen est possiblement dangereux, même le plus normal. Le crime est un fait humain. Une autre évidence encore : la maladie mentale tout comme l'identité qu'elle questionne est à la fois un fait biologique et un fait culturel. Parce qu'elle ne critique pas le contexte sécuritaire qui est le sien, cette loi n'est pas particulièrement bonne. Mais par le contrôle élargi qu'elle institue, elle définit entre le psychiatre et son patient un rapport d'obligation réciproque qui existe dans les faits depuis longtemps. En tant qu'institution, elle contraint non seulement le patient mais aussi le psychiatre. En dissociant la contrainte de soins de l'hospitalisation, cette loi acquiert une dimension institutionnelle nouvelle : la pratique de secteur, qui est le suivi ambulatoire, devient obligatoire.

Devons-nous nous en plaindre ? Jamais une loi faite par des hommes pourra à elle seule répondre à des questions qui relèvent de l'existence humaine. Mais une loi nouvelle peut faire que les malades mentaux soient mieux traités et les citoyens mieux protégés. Cette loi est sans doute imparfaite mais elle a le mérite de reconnaître que le non-consentement et l'enfermement ne reviennent pas au même. Elle fait suite à un rapport approfondi qui expose clairement les effets de la maladie sur la personne et son entourage, les difficultés que le patient peut avoir à en prendre conscience, la nécessité d'agir rapidement au moment et sur les lieux de la crise, la nécessité d'une réhabilitation, d'une psychoéducation, d'un accompagnement personnalisé, d'une aide aux aidants en première et en seconde ligne, d'une formation des intervenants et des proches.

Ces prises de position ne nous heurtent pas car elles évoquent des techniques adaptées et non pas nécessairement des positions idéologiques hostiles à la psychanalyse. Comment dire à tous que le débat s'il n'est pas clos ne peut se résumer à l'affrontement de deux idéologies, l'une prétendument sécuritaire, et l'autre pas ? Ne cherchons pas à appliquer Foucault à la lettre. Dans un monde qui conjugue conformisme et narcissisme pour faire de la réussite une exigence pour tous, questionnons-nous plutôt : qu'aurait dit Foucault aujourd'hui ? Face à la violence des hommes, contrôler et punir ne sont pas les seules alternatives. Face à la maladie, soigner et guérir ne sont pas les seules alternatives.

Tandis que nous sommes en quête de nouvelles normes sociales et en manque de liens forts, protéger est dans les deux cas un troisième terme que l'isolement des uns et la violence des autres rendent urgent d'appliquer à tous. Il s'agit de garantir à la fois la protection des plus vulnérables et la liberté de chacun. Il n'y a pas de honte à ce qu'une loi permette d'imposer des soins à une personne quand la conscience de la maladie fait défaut. Mais il faut du courage dans un monde aussi sécuritaire que le nôtre pour affirmer qu'une personne non consentante aux soins peut vivre chez elle sans danger pour autrui. Reconnaissons ce courage à l'auteur du rapport.

UNE DOCTRINE DE LA LIBERTÉ ET DE L'AUTONOMIE

A dire vrai, nous ne saurons vraiment si cette loi était bonne ou mauvaise qu'à l'usage. Pour l'heure il nous faut la défendre car elle existe : ni tout à fait sanitaire, ni tout à fait judiciaire, elle peut devenir un outil puissant de déstigmatisation. Certes, appliquer une telle loi ne sera pas simple, nous devrons participer à la rédaction de ses décrets : jusqu'où doit aller la définition d'un protocole de soins ? Peut-on se contenter d'une définition du consentement calquée sur celle du consentement éclairé qui prévaut en médecine somatique ? Comment concevoir un contrat qui de fait sera placé sous influence ? Comment évaluer l'efficacité de tels protocoles ? Comment surtout protocoliser quelque chose qui a trait à l'espace intersubjectif et dans quoi le psychiatre et le patient doivent aménager l'un pour l'autre une possibilité de retrait ? Comment le patient, avec la vulnérabilité qui est la sienne, pourra-t-il à l'intérieur de cet espace conserver la possibilité de dire non ? Comment somme toute garantir dans un tel protocole un espace où quelque chose comme un sujet et du sens puissent advenir ?

Ces questions ne sont pas simples affaires de moyens, elles soulèvent en profondeur l'idée que l'on se fait du contrôle social, de la vulnérabilité spécifique aux maladies mentales, de la norme, de la liberté et du rétablissement au quotidien. Nous partageons avec les 39 l'idée que la psychopathologie doit trouver là toute sa place. Mais nous pensons qu'il faut pénétrer le débat non par une idéologie affichée mais par une doctrine nouvelle de la liberté et de l'autonomie. L'élaboration de cette doctrine du rétablissement n'appartient pas aux seuls psychiatres, elle appartient aux citoyens. Nous devons soutenir les patients et leur entourage dans leur lutte non seulement contre la maladie mais pour la norme. Cette lutte est l'affaire de tous.

Christophe Lançon est aussi président de Solidarité-Réhabilitation (Marseille).
Jean Naudin et Christophe Lançon, professeurs des université et praticiens hospitaliers, et Samuel Bouloudnine, psychiatre des hôpitaux à Marseille

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