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mercredi 9 février 2011

« L'éducation thérapeutique entraîne à repenser l'organisation de l'hôpital »

Alors qu'elle est inscrite dans la loi, l'éducation thérapeutique (ETP) conduit, pour fonder son action pédagogique, le clinicien à développer son sens clinique. Voire l?hôpital à se réorganiser. En effet, l'éducation nécessite que les soignants maîtrisent des compétences de soins et que l'organisation des soins favorise l'intégration de temps d'éducation. En attendant, sur le terrain persiste un flou tant pour le financement que dans l'attribution des autorisations de programme. Bilan d'étape avec l'un des pionniers en France de ce concept.

Entretien avec le Pr Rémi Gagnayre


Décision Santé-le Pharmacien Hôpital. 2011 sera-t-il l'an I de l'éducation thérapeutique

Pr Rémi Gagnayre*. D'une certaine manière, la publication des décrets relatifs à la loi HPST installe l'éducation thérapeutique et lui a procuré une reconnaissance, une visibilité. La loi est un accélérateur et incite à opérer des changements rapides. Maintenant, si l'on inscrit cet épisode dans l'histoire de l'éducation thérapeutique qui reste à écrire, on est plutôt dans la continuité. À cet égard, était-il nécessaire de passer par une loi ou opter plutôt pour le développement d'une pratique intégrée aux soins ? La réponse est loin d'être simple.

D. S.-P. H. Qu'est-ce que la loi a changé ?

Pr R. G. Avec la loi, une pratique et le champ d'étude qui l'accompagne sont désormais jugés indispensables à la prise en charge des maladies chroniques bien sûr, mais aussi aiguës. En effet, au-delà des maladies historiques comme le diabète ou l'asthme, certaines situations spécifiques comme la survenue d'escarres, un traitement de courte durée par exemple nécessitent des apprentissages ponctuels. Ce qui change, c'est d'abord la nature des motivations des professionnels. Entre ceux qui s'intéressent à l'éducation thérapeutique par intéret personnel et ceux qui y sont conduits par la force de la loi, on a là une forte hétérogénéité des demandes. À ce premier creuset d'hétérogénéité s'ajoute un second degré corrélé à la création des agences régionales de santé. Elles disposent en effet du pouvoir pour délivrer ou non des autorisations de programme. Mais nul ne connaît vraiment les critères qui leur permettent de sélectionner un programme et d'en écarter un autre. Si des critères méthodologiques sont établis, d'autres critères liés aux politiques de santé régionales sont certainement utilisés, alors qu'ils ne sont pas toujours connus des acteurs. Au total, on dispose certes d'une loi qui reconnaît et impulse une direction. Mais l'instrument c'est-à-dire la grille administrato-sanitaire reste parfois peu clair.

D. S.-P. H. Comment aujourd'hui ces programmes sont-ils financés ?

Pr R. G. Si le versant technico-méthodologique a été au cSur des préoccupations et largement débattu, le volet financier a été traité avec une grande pudeur. Reste qu'un projet de circulaire portant sur le financement des programmes d'éducation thérapeutique devrait préciser les possibles modalités. À cet égard, rappelons qu'autorisation ne veut pas dire financement.

D. S.-P. H. Justement, les laboratoires pharmaceutiques qui ont été écartés de l'élaboration et de la mise en Suvre des programmes d'éducation thérapeutique ne seront-ils pas dans un second temps invités à participer au financement ?

Pr R. G.
C'est ce qui semble envisagé dans les possibilités de financement des programmes que l'on peut faire. L'industrie pharmaceutique a compris depuis longtemps l'intérêt de financer des programmes d'éducation thérapeutique au titre de son image par exemple, mais pas seulement& Certains laboratoires ont joué un rôle majeur dans l'essor de l'ETP. Le développement des écoles de l'asthme par exemple où le laboratoire GSK s'est impliqué dès la création est un exemple. C'était une prise de risque pour ceux qui au sein du laboratoire ont participé à cette aventure.

S'il ne sert à rien de diaboliser les laboratoires pharmaceutiques, l'essentiel est plutôt d'envisager les procédures de contractualisation. Il s'agit aussi de savoir en quoi consiste le retour attendu par le financeur, quelles sont les conséquences pour le patient, le système de soins de leur investissement. L'important est de l'analyser systématiquement et de se donner les moyens de pouvoir dire non.

Quant aux autres acteurs comme les mutuelles, les caisses d'assurance à l'exception de la MSA pionnier dans la mise en Suvre de programmes d'éducation thérapeutique n'ont pas encore pris toute la dimension de ce champ de pratiques et d'étude.

D. S.-P. H. Vous avez toujours défendu le principe que l'éducation thérapeutique devait être uniquement dispensée par des soignants. Cette position est-elle tenable, alors que s'aggrave la crise démographique ?

Pr R. G.
Au cours de la XVIIe journée de l'Ipcem2 qui s'est déroulée en novembre dernier, André Grimaldi a rappelé pourquoi l'éducation devait être thérapeutique en rappelant entre autres, la complexité, l'incertitude des traitements. Pour quelques années encore et de par son champ d'action, l'éducation thérapeutique doit être conduite par des soignants dotés de compétences en physiopathologie, en pharmacologie. Soulignons que l'éducation thérapeutique est aussi une formation continue au contenu. Il y a un rapport évident entre les propositions éducatives et les enjeux thérapeutiques.

Certes, le défi de masse est une véritable question. Pour autant, je ne suis pas certain qu'il faille étendre le principe de dispenser l'éducation thérapeutique par le plus grand nombre possible d'éducateurs qui ne verraient pas les patients dans le cadre d'une relation thérapeutique et qui ne pourraient pas assurer la maîtrise des contenus. Je ne parle pas ici des expériences menées avec les patients ressources qui intègrent les équipes médicales pour la conception et l'animation des programmes d'éducation thérapeutique.

En revanche, il peut être légitime de réfléchir sur les formats d'éducation. Pour l'instant, le législateur a retenu la notion de programme qui renvoie à des modalités précises selon le temps d'éducation plus ou moins long. On peut envisager des formats plus réduits, plus courts.

Qu'est-ce qu'un format ? C'est une modalité d'intervention dépendant du contexte et du temps dédié qui permet de mobiliser avec le patient une compétence, une attitude estimée utile pour aider le patient à gérer une situation. En ce qui concerne le médecin généraliste, des travaux en cours formalisent par exemple ce que peut être un temps dédié à l'éducation. Cependant, cette éducation nécessite quand même de revoir les conditions d'exercice, les temps de consultation, en fonction de la situation de santé des patients et des types de rémunération.

D. S.-P. H. Certains auteurs comme Philippe Barrier3 remettent en cause le concept même d'éducation thérapeutique.

Pr R. G.
Je ne pense pas qu'il le remette en cause. Il préconise une autre dénomination « instruction normative de santé » au regard de ces travaux sur l'autonormativité. Cependant, dans son ouvrage, il ne récuse pas le pédagogique. Bien au contraire.

À noter que nous avons mis beaucoup de temps à stabiliser ce terme, l'éducation, qui en France a toujours soulevé de nombreuses interrogations en référence à sa double étymologie, à savoir faire advenir la personne et la nourrir avec un va-et-vient extériorité-intériorité. Notons qu'actuellement, on ne revient pas sur cette dénomination, d'autant plus que la nouvelle loi de santé publique confirme ce terme. Même si le terme éducation a été dévoyé, celui-ci reste un beau mot. Il garde toute sa pertinence, notamment dans le domaine de la santé.

En revanche, dans les pays anglo-saxons, on parle de « patient education » (éducation du patient). Bref, c'est un beau mot.

D. S.-P. H. Dans les pays étrangers, on parle donc d'éducation pour la santé et non pas d'éducation thérapeutique ?

Pr R. G.
On observe deux champs contigus, dont le continuum reste encore à expliciter. l'éducation pour la santé et l'éducation du patient. Il y a la reconnaissance pour l'existence de deux champs : celui où l'on est « indemne » de toute affection. Dans ce cas, les interventions visent à promouvoir une réflexion sur le maintien de sa santé. En cas de survenue d'une maladie second cas une éducation est proposée, dite du patient qui tient compte de cet événement de vie. Ces deux entités ne renvoient pas aux mêmes dynamiques ou ressorts motivationnels. En France, on a donc ajouté le qualificatif de thérapeutique suite aux propositions de groupe de travail de l'OMS-Région Europe en 1998 pour souligner qu'elle tire son origine des interactions entre l'intelligibilité de soi, la maladie et les soins. Elle représente une action complémentaire et intégrée aux soins qui confère au patient des compétences pour se prodiguer pendant une période donnée ses propres soins.

L'un de ses objectifs, à savoir qu'elle s'occupe des traitements, des prises en charge soignantes pour rendre le patient compétent à équilibrer les rapports et permettre au malade d'être un peu soignant un moment donné. Elle renforce l'idée qu'il s'agit d'une fonction éducative soignante en premier lieu versus éducation pour la santé où le spectre d'intervenants est plus large.

D. S.-P. H. Le partage de savoir ou de pouvoir entre le soignant et le patient n'a-t-il pas été un frein à la diffusion de l'éducation thérapeutique ?

Pr R. G.
Certainement. En particulier, la croyance fort entretenue dans la formation initiale des soignants que le patient serait un réceptacle des choix, décisions sans participation active à leur élaboration. L'avancée consiste en la présence d'un patient avec ses représentations, son histoire, ses réaménagements, sa logique puis ses décisions apparaîssent désormais comme une donnée concrète. Avec l'éducation thérapeutique, le patient acquiert une présence agissante. L'une des conséquences de cette attitude se traduit pour le clinicien par une plus grande sensibilité clinique, parce qu'il doit privilégier le principe d'éducabilité et le préférable thérapeutique. Finalement, par l'ETP, il devient de plus en plus soignant.

D. S.-P. H.
Faut-il être empathique lorsque l'on dispense une éducation thérapeutique ?

Pr R. G.
Oui d'une certaine manière. Mais ce qui doit être dominant dans la pratique d'éducation thérapeutique est plutôt l'élucidation de la logique de l'autre. Il s'agit d'approcher la compréhension du patient et de la relier à des réussites, des difficultés. Cela s'inscrit dans une attitude classique de l'éducateur. Par ce moyen, on écoute alors davantage. On s'efforce non pas d'être d'accord mais de s'accorder avec le patient. Il découle par cette attitude pédagogique, une approche empathique du patient. Il faut bien sûr éviter tout relativisme où la parole du patient serait toute puissante. L'éducation thérapeutique n'est pas un long fleuve tranquille. Elle se nourrit d'opposition respectueuse, de référence différente à l'origine d'accord ponctuel. Tout ne se vaut pas.

D. S.-P. H.
En période de crise économique, l'éducation thérapeutique n'est-elle pas un luxe ?

Pr R. G. Oui, et c'est un luxe selon l'étymologie du mot qui doit être accessible au plus grand nombre de personnes.
C'est déontologique de favoriser l'accès à des compétences de soins, à une compréhension de soi. L'éducation thérapeutique ne peut se réduire à une technique. Ce n'est pas du « counseling ou du coaching ». Elle représente un changement de perspective avec une répercussion sur la dimension organisationnelle des soins que l'on sous-estime souvent. Rappelons que les hôpitaux sont structurés à partir d'une logique biomédicale et actuellement selon des contraintes économiques. Cependant, ces établissements sont aujourd'hui confrontés à la chronicité et à la multifactorialité des histoires médicales. En un sens, l'éducation thérapeutique est un signal parmi d'autres d'une nécessaire réorganisation, avec comme paradoxe qui devrait être anticipé par les décideurs que l'élévation du niveau éducatif des patients ou des aidants naturels vis-à-vis de leurs autosoins entraîne des temps de lâcher-prise, et par conséquent la création de lieux de soins le permettant.

La haute technologie médicale est indispensable. Simplement, il faut en envisager le pendant humain au sens émotionnel, cognitif et perceptif. L'éducation thérapeutique est l'opportunité de repenser les espaces, les scénographies du soin, l'organisation du travail. Là où elle se dispense, elle révèle encore un lieu de marginalité institutionnelle, au sein duquel une pensée alternative est encore autorisée. Souhaitons que la loi soit l'occasion de favoriser ces lieux.

1. Médecin et professeur en sciences de l'éducation. Université Paris XIII, Bobigny.

2. L'Ipcem participe à la réflexion sur le thème de l'éducation thérapeutique, notamment par des colloques et des formations. Cf. leur site Internet www.ipcem.org. Décision Santé organise sur ce sujet une formation intitulée "éducation therapeutique: favoriser l'apprentissage du patient" les mardi 22 et mercredi 23 mars 2011 : voir le site www.decision-sante.com rubrique formation

3.La blessure et la force, Éd PUF 2010, 18 euros.

Article du : 21.01.2011


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