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mercredi 9 février 2011

Le premier "bébé-médicament" français est né
07.02.11








Le professeur René Frydman dans son bureau
de l'hôpital Béclère à Paris, en novembre 2010.
AFP/FRED DUFOUR


Le premier "bébé-médicament" en France, qui permettra de soigner l'un de ses aînés pour lequel il est un donneur compatible, a vu le jour à l'hôpital Antoine-Béclère à Clamart (Hauts-de-Seine), ont annoncé les professeurs René Frydman et Arnold Munnich.

Indemne d'une grave maladie dont souffrent ses aînés, la bêta-thalassémie, le petit garçon, né le 26 janvier, permettra de soigner l'un d'eux, pour lequel il est un donneur compatible. La bêta-thalassémie, dont il existe des variantes plus ou moins sévères, est une maladie due à un gène commandant la production d'un composant essentiel de l'hémoglobine qui transporte l'oxygène dans les globules rouges.

Le petit Umut-Talha (en turc "notre espoir"), qui pesait 3,650 kg à sa naissance, est "en très bonne santé", a indiqué le professeur Frydman. Les parents, d'origine turque et âgés d'une trentaine d'années, et leur enfant sont rentrés chez eux, dans le sud de la France.

UN "BÉBÉ DU DOUBLE ESPOIR" SÉLECTIONNÉ APRÈS FIV

Ce bébé-médicament, que les spécialistes appellent "bébé du double espoir", est né par fécondation in vitro après un double diagnostic génétique pré-implantatoire permettant le choix des embryons. Cette procédure de double diagnostic a permis de s'assurer d'une part que l'enfant était indemne de la grave maladie génétique dont souffrent les premiers enfants de la famille, mais aussi qu'il pouvait être donneur compatible avec l'un de ses aînés malades. Cette compatibilité tissulaire permet d'envisager ultérieurement une greffe de sang du cordon ombilical qui a été prélevé après sa naissance, afin de soigner un de ses aînés.

Des naissances de "bébé-docteurs" ont déjà eu lieu dans le monde, mais c'est la première fois en France. Les Etats-Unis ont commencé il y a une dizaine d'années, et quelques naissances ont été signalées plus récemment en Europe, en Belgique et en Espagne. La loi française de bioéthique de 2004 et ses décrets d'application, parus en décembre 2006, autorisent cette pratique après accord de l'Agence de la biomédecine, d'où "cette première naissance HLA compatible", fruit de la collaboration des équipes médicales et biologiques de l'hôpital Necker et de l'hôpital Antoine-Béclère.

En Espagne, le premier bébé-médicament, Javier, né en octobre 2008, a permis grâce au sang de son cordon ombilical de guérir son aîné Andrés, souffrant également d'une bêta-thalassémie majeure. Andrés n'a plus besoin des transfusions sanguines, auparavant nécessaires pour le maintenir en vie, précisaient ses médecins.

René Frydman, gynécologue, chef de service à l'Hôpital Antoine-Béclère à Clamart

"Il n'y a rien d'eugénique dans la naissance du bébé-médicament"
08.02.11

L'annonce de la naissance du premier "bébé-médicament", dans la nuit du lundi 7 février, a déclenché une importante vague de réactions. Le professeur René Frydman, chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère et "père scientifique" de cet enfant, revient sur cette naissance particulière et les enjeux qu'elle soulève, le tout sur fond d'examen du projet de loi sur la bioéthique à l'Assemblée.

Comment a été conçu ce premier "bébé du double espoir" ?

Lorsque ce jeune couple est venu vers nous, il avait déjà deux enfants atteints de la bêta-thalassémie [une maladie due à un gène commandant la production d'un composant essentiel de l'hémoglobine, qui permet de transporter l'oxygène]. Les parents, qui n'ont pas de problème de fertilité, désiraient que leur troisième enfant soit épargné par cette grave maladie.

Nous avons donc procédé à une fécondation in vitro pour six embryons. Deux d'entre eux avaient des gènes sains, dont un était en plus compatible avec le sang de la cadette de la fratrie. Les parents ont souhaité que les deux embryons soient implantés, sans être certains que l'enfant à naître pourrait guérir leur fille [en pratiquant une greffe de cellules-souches présentes dans le sang du cordon ombilical qui a été prélevé].

Etait-il nécessaire de mettre au monde cet enfant pour guérir sa sœur ? Un simple don de cellules-souches n'était-il pas envisageable ?

Théoriquement, oui. Mais il faut savoir que toutes ces demandes ont d'abord été examinées par l'agence de biomédecine. Une recherche de sang compatible a été effectuée, et il était également nécessaire d'établir que l'enfant avait réellement besoin d'une transfusion, puisque certaines maladies génétiques peuvent être moins prononcées. Ces deux critères étant réunis, nous avons pu procéder à la fécondation.

Est-on sûr de pouvoir guérir la sœur grâce à cette méthode ?

Non, comme toutes les interventions, nous ne sommes sûrs de rien. Il y a 90 % de chances de réussite de la greffe, mais cela n'est pas garanti.

Ce matin, Mgr André Vingt-Trois et Christine Boutin ont critiqué cette démarche, évoquant "une instrumentalisation de l'être humain au service des autres" ou encore une philosophie "eugéniste". Que souhaiteriez-vous leur répondre ?

Je crois qu'il faudrait sortir des dogmes, et regarder la vie. Je ne vois pas dans cette histoire où se situe l'instrumentalisation. Je tiens à rappeler que le couple désirait un enfant, certes sain, mais sans garantie de compatibilité avec leur fille.

L'enfant qui vient de naître n'a été altéré ni dans son psychisme, ni dans son physique. Nous avons effectué un prélèvement sur le placenta. Jusqu'à preuve du contraire, le placenta n'est pas la personne !

Le diagnostic préimplantatoire a révélé que l'enfant était sain. Nous n'allions pas remettre à ce couple, qui a déjà deux enfants malades, un troisième embryon atteint par la bêta-thalassémie ! Nous ne sommes pas sadiques à ce point !

Nous acceptons simplement le principe selon lequel tout ce qui vient de la nature n'est pas bon. Notre rôle de médecins est d'éviter que le destin génétique s'abatte sans que le couple ait eu le choix.

Ce nouvel enfant, Umut-Talha – en turc "notre espoir"– a été mis au monde il y a près de deux semaines. Avez-vous attendu que le projet de loi sur la bioéthique soit débattu à l'Assemblée nationale pour annoncer sa naissance ?

Pas du tout. Nous avions besoin d'être certains de deux choses : que tout allait bien pour l'enfant, notamment du point de vue tissulaire, mais également que la quantité de sang prélevée sur le placenta était suffisante.

Quelle est votre opinion à propos de ce projet de loi ?

Je pense que si l'on désire obtenir des résultats, il faut travailler, innover, et faire de la recherche. Il nous a par exemple fallu trois ans de combat et de lobbying pour obtenir de pouvoir congeler des ovules. Auparavant, cela était assimilé à de la recherche sur les embryons. La France, qui grouille pourtant d'hommes et de femmes de talents, arrive dix ans après les autres concernant le "bébé du double espoir".

Je trouve que le blocage auquel on assiste aujourd'hui est encore plus pesant qu'il y a vingt ans. J'ai le sentiment qu'une chape de plomb s'abat sur la pensée. Ce n'est pas logique, d'autant que nous avons mis en place un certain nombre de garde-fous.

Chaque semaine depuis trente ans, j'entends parler de risques de dérives. Nous n'en avons pas connu, grâce à notre système d'encadrement, mais celui-ci est trop présent aujourd'hui. Nous pourrions l'alléger sans porter atteinte à nos principes. Il faut sortir de ce climat de suspicion. Personne n'est obligé de passer par un diagnostic préimplantatoire. Il n'y a rien d'eugénique dans cette histoire, car l'eugénisme est imposé à la population.

J'espère que la naissance d'Umut-Talha fera avancer les choses. Mais nous ne devons pas laisser un groupe religieux imposer son point de vue dans un pays qui se veut laïque, même si nous devons respecter les convictions de chacun.

Propos recueillis par Vincent Matalon



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