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mercredi 11 août 2010




LE MONDE DES LIVRES
Petit Poucet deviendra gore

C'était avant l'invention de la psychanalyse et de l'inconscient collectif. Et bien avant le cinéma, la télévision, le déferlement des images et la surenchère de violence qui s'est abattue sur les écrans. Quand Charles Perrault a raconté l'histoire du Petit Poucet, en s'inspirant d'une tradition orale venue du fond des âges, il ne prenait pas de gants avec la sensibilité de ses lecteurs - lesquels, d'ailleurs, n'étaient pas censés être des enfants.

Les petits qu'on abandonne dans la forêt, les parents indignes, le cadet mal-aimé, l'ogre mangeur de chair fraîche, le père qui finit par assassiner ses propres filles, et même la ruse de Poucet qui, pour sauver sa peau, sacrifie les jeunes ogresses - on ne peut pas dire que les moeurs étaient bien civiles au royaume des fées et des bottes de sept lieues. Mais, enfin, tout n'était pas dit, exposé, détaillé comme sur une table de dissection.

Avec Brigitte Aubert, qui publie chez Fayard Noir Le Souffle de l'ogre (298 p., 17,90 €), fini les zones d'ombre, fini le mystère. Reprenant l'histoire du Petit Poucet, mais aussi d'autres contes, comme Blanche-Neige, cette auteure de polars s'est engagée dans une veine nettement plus lugubre. Poucet y porte un numéro : il s'appelle Sept et il est l'un des deux survivants d'une fratrie décimée par un père qui décapite ses enfants à la hache, on ne sait pourquoi. L'autre, c'est Un, l'aîné, presque aveugle et infirme, qui vit attaché à un piquet au fond de la cour (dans le conte original, c'était un "rousseau" que la mère aimait plus que les autres parce qu'elle-même "était un peu rousse"). L'ogre est bien là, tout comme les petites ogresses (dotées des "mêmes dents taillées en pointe que leur géniteur"), mais l'ambiance a changé. D'une violence inouïe, surtout dans les premières pages, le roman montre un ogre qui finit par empaler un enfant "sur le long manche de sa pioche", pendant que Sept n'en perd pas une miette. Un monstre en proie à des pulsions sexuelles, un "malade" ivre de sperme et de sang, qui éprouve du remords, mais pas bien longtemps. On sait l'interprétation que les psychanalystes, à commencer par Bruno Bettelheim, ont fait des contes de fées, de leur puissance fantasmatique et de leur charge érotique. Mais, en lisant ces aventures, on ne peut s'empêcher d'éprouver un malaise. Comme si la même frénésie d'images sanguinolentes (et souvent complaisantes) s'était propagée du cinéma vers la littérature. Laquelle ne gagne pas forcément à cette escalade, qui menace de la banaliser.

Il y a d'assez bonnes choses dans ce Souffle de l'ogre, en particulier l'humour, par exemple quand Sept rencontre Blanche-Neige au fond des bois : elle y vit seule, les sept nains s'étant fait massacrer par la reine. Quant à Blanche-Neige, elle n'a dû sa survie qu'à un arrangement d'ordre sexuel avec le garde-chasse chargé de la tuer. Mais cet humour lui-même n'est qu'un correctif assez attendu à la violence, une manière supplémentaire de tout expliciter qui fait regretter le pouvoir de suggestion des contes d'origine - et leur force.

Raphaëlle Rérolle
Article paru dans l'édition du 26.06.10

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