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mercredi 24 mars 2010

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Le monde sans joie de Lucian Freud

16 mars, 2010 •

Qu’est-ce que la vie a fait à Lucian Freud pour qu’il la peigne si triste ? qu’est-ce que ses amantes et amants ne lui ont pas fait pour qu’il les peigne si vides, fripés, mats et sinistres ? Pourquoi est-ce que les corps nus dans ses tableaux ont toujours l’air de cadavres ou, dans le meilleur des cas, de zombies ? Comment quelqu’un qui veut que la peinture soit chair peut-il ne peindre que des chairs-viandes sans âme de personnes qui semblent étrangères à des corps devenus monstrueusement adipeux et flasques ? Comment un peintre peut-il avoir aussi peu le sens de l’allégresse de la peinture, être si sourd au chant des couleurs ? Comment un peintre peut-il être assez peu chinois pour croire atteindre quoi que ce soit d’essentiel en rendant les corps d’une manière aussi extérieure ? Comment un peintre peut-il être assez peu curieux pour ne jamais sortir de son atelier ? Comment un artiste peut-il être à ce point étranger à la poésie, à la musique, à la philosophie, à la mystique, à la psychanalyse (un certain Judicaël Lavrador écrit que « Chez Freud – et pas seulement à cause de son grand-père – la dimension psychanalytique de l’autoportrait est criante », mais c’est un cri très silencieux, L.F. se représente comme ses modèles, sans aucune intériorité ; d’une génération à l’après autre, des gènes peuvent se perdre sans doute, mais où Sigmund avait-il pris celui du génie de la psychanalyse ? ), à l’humour (si l’on excepte une sorte de dandysme d’incongruités provocatrices qui en tient lieu) et même à l’histoire de l’art (ce ne sont pas les quelques eaux-fortes et tableaux inspirés par des œuvres de Chardin ou Cézanne qui prouveront le contraire, car il ne les a pas prises en tant que possibilités picturales mais pour leurs sujets, transformant au passage des moments de vie tranquille - Still Life, Stillleben - en natures mortes) ?

Miro, après Picasso, croyait assassiner la peinture alors qu’il faisait renaître ses pouvoirs d’exaltation et d’exultation, si présents (seuls présents) dans les orgies de couleur et de fantaisie des enfants. Lucian Freud, malgré son nom (Joi en allemand), la fait revenir aux couleurs sourdes et aux espaces confinés et angoissants de la tristesse. Il ne peint pas pour étendre la peinture, mais pour l’éteindre (oui, c’est un peu facile, mais pas trop faux). Sous prétexte de peindre la vie au plus vif, il peint les hommes dans leur néant post-coïtal, la mort dans la vie.

Contrairement à ce que les lignes précédentes ont pu laisser penser, j’aime les œuvres mélancoliques, j’aime les poètes et les artistes fidèles à leur tristesse (c’est même une condition, et inversement je supporte très mal ceux qui veulent être toujours gais), mais ne cultiver que cette corde … Ne faire entendre que ce son désolé. Alors bien sûr, c’est très subtilement et richement varié : dans le sourd, le mat, l’éteint, ce sont des festivals de valeurs très finement nuancées, qu’il faudrait pouvoir comparer à des tableaux de Braque ou de Le Nain, ou encore aux compositions pour viole de Gambe de Marin Marais et Sainte Colombe, révélées par Pascal Quignard dans Tous les matins du monde.

Qu’on les ait étiqueté « expressionnistes » (Van Gogh, Munch, Ensor, Nolde, Kirchner, Schiele, Kokoschka, Picasso, Bacon, …), « nouvelle objectivité » (Grosz, Dix, Beckmann, Schach, …), « existentialisme » (Giacometti, Fautrier, …), tous les artistes qu’on peut rassembler sous la bannière anti-épique de l’Existentialisme sont des antimodernes, qui cherchent à retrouver des aspects primitifs, permanents et tragiques de la vie humaine, des caractères liés à notre animalité et à notre « corporéité ». Lucian Freud le mal nommé continue cette tradition anti-intellectualiste réactive de l’art moderne, dans laquelle on s’efforce de ne pas être contemporain ni même moderne mais au contraire de tous les temps, et il en a inventé une version étonnamment atone ou, disons, à énergie sourde. Sans mettre en question la qualité évidente de cette œuvre, il est sans doute très excessif de la considérer comme la plus grande du XXème siècle, comme n’hésite pas à l’écrire Hector Obalk, qui devrait perdre l’habitude de faire des gargarismes avec le mot « chef-d’œuvre ». Même si on ne la compare qu’avec des œuvres de la même famille d’esprits, sa richesse, son inventivité et sa portée sont beaucoup plus limitées que celles de la plupart des artistes que je viens de nommer, et si on restreint le champ de comparaison aux contemporains, je vois au moins une très grande artiste tchèque, Adriena Simotova, qui lui est bien supérieure. Qui en France la connaît ?

Il n’est pas facile de supporter les tableaux de Lucian Freud. J’imagine même sans mal que certains puissent en être traumatisés. De même que, dans certaines expositions, on avertit les personnes sensibles ou accompagnées d’enfants de ne pas regarder certaines pièces, on devrait mettre un panneau en très grands caractères : LA VISITE DE CETTE EXPOSITION EST VIVEMENT DÉCONSEILLÉE ET MÊME FORMELLEMENT INTERDITE AUX PERSONNES SUICIDAIRES, DÉPRESSIVES OU MÉLANCOLIQUES (À MOINS QU’ELLES NE SOIENT ACCOMPAGNÉES D’UN ZÈBRE ROUGE ET JAUNE).









The painter's room - 1944 -
Huile sur toile, 62,2.76,2 cm.
Collection particulière.









Irishwoman on a bed - 2003-2004.
Huile sur toile, 101,6.152,7 cm.
Collection particulière.












Two men in the studio - 1987-1989.
Huile sur toile, 191,8.120,7 cm.
Collection Lewis.












Benefits supervisor sleeping - 1995,
huile sur toile, 151,3.219 cm.
Collection particulière.










Reflection (Self-Portrait) - 1985,
huile sur toile, 56,2.51,2 cm.
Collection particulière.












Self-Portrait, Reflection - 2002.
Huile sur toile, 66.50,8 cm.
Collection particulière.

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