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dimanche 3 janvier 2010

Le Magazine Littéraire
http://www.magazine-litteraire.com/content/critiques/article.html?id=15206

Sigmund Freud, L'Interprétation du rêve









Totem et tabou, L’Interprétation des rêves, Malaise dans la civilisation, les textes principaux du fondateur de la psychanalyse sont retraduits en français. Les connaisseurs vont-ils retrouver leur Sigmund Freud ?

Les œuvres de Sigmund Freud seraient-elles fautives en français ? Apparemment oui, puisque, malgré le coût de l’initiative, certains de ses textes passés dans notre tradition de lecture nous arrivent maintenant complètement révisés. Qui s’en plaindrait ? Quand il s’agit d’augmenter le capital intellectuel de l’humanité, abondance de patrimoine ne saurait jamais nuire.

La première somme inaugurant le travail scientifique de Freud, sortie des presses fin 1899 et portant 1900 comme date de publication pour qu’elle marque bien le seuil du siècle, ouvre donc cette série de traductions nouvelles. Son auteur lui a donné pour titre, entre 1897 et 1899, un mot inventé : Traumdeutung, sur le modèle de Sterndeutung, l’astrologie. Ce néologisme étrange, qu’il serait logique de traduire en français par un équivalent - quelque chose comme « rêvologie » – est devenu en 1926, à Paris, Science des rêves. Titre corrigé en 1967 par L’Interprétation des rêves. Et nous voici avec L’Interprétation du rêve. Freud a insisté pourtant lui-même, en 1935, sur la nécessité de comprendre que sa préoccupation était celle des rêves, non du rêve. Auquel cas, on penserait trop, selon lui, qu’il fournit une «clé des songes», alors qu’il se propose d’étudier une «activité psychique».

Le nouveau traducteur, Jean-Pierre Lefebvre, se penche avec raison, dans sa préface, sur les «enjeux théoriques» dans le vocabulaire de Freud. Mais pas d’explication sur le parti pris de son changement de titre. Il est même curieux de le voir commenter le flottement sémantique du lien de détermination dans tous les mots composés du genre Traumdeutung, pour aboutir, en la circonstance, au constat d’une «hésitation bien connue» entre «du rêve, de rêve, de rêves, des rêves». Sans donner, au demeurant, la raison de son choix final. Chaque fois que possible, il a opté, indique-t-il simplement, pour l’épithète «onirique».

Les connaisseurs des anciennes éditions risquent fort, ayant peine à s’y retrouver, de ne guère s’aventurer dans la rénovation d’un classique où ils ont puisé la base de leur initiation à la psychanalyse. Les idées qu’ils en ont tirées de longue date en seraient-elles d’ailleurs changées ? Que les rêves soient l’accomplissement de désirs inconscients, qu’ils ouvrent une porte sur la psychologie des névroses, qu’ils justifient au tréfonds de l’enfance universelle le destin d’Oedipe, qu’ils aident à déterminer le fonctionnement de l’appareil psychique, tous ces acquis ont déjà solidement tracé leur chemin. Quand ils l’ont découvert, le livre avait beau s’appeler Science des rêves, les surréalistes n’ont pas manqué de s’en nourrir et de le glorifier.

Par rapport au texte allemand original, un quart de siècle de retard pour que cette fameuse Science des rêves arrive en français !... Totem et tabou n’a attendu que dix ans. Premier ouvrage de Sigmund Freud paru en France. Les éditions Payot l’ont mis sur le marché en 1924, dans une traduction de Samuel Jankélévitch, le père du philosophe Vladimir Jankélévitch. Complément alors donné à l’intitulé : Interprétation par la psychanalyse de la vie sociale des primitifs. En 1993, nouvelle traduction de Marielène Weber chez Gallimard, qui rétablit le sous-titre dans la fidélité à sa formulation initiale, Quelques concordances entre la vie psychique des sauvages et celle des névrosés. Mais ces différences ne méritent ni mention ni réflexion de Clotilde Leguil, préfacière de la nouvelle version proposée. Pas plus qu’elle n’évoque les réserves des anthropologues aux hypothèses aventureuses de Freud sur le « comportement primitif », « le retour infantile du totémisme » ou le « parricide primordial ». Elle préfère le présenter comme un précurseur de Claude Lévi-Strauss.

Pour finir, deux opuscules sous des libellés non identiques, bien qu’issus d’une seule et même œuvre. Belle incitation à débattre. Le Malaise dans la civilisation ou Le Malaise dans la culture ?... Le premier titre fut adopté en 1934. Il s’est prolongé à travers des réimpressions continues. Le second est advenu en 1994, à la faveur d’une édition concurrente. L’un et l’autre sont repris tout à la fois aujourd’hui.

Dans sa préface au nouveau Malaise dans la civilisation, traduit par Bernard Lortholary, Clotilde Leguil attribue à la «civilisation» la fonction de regrouper «toutes les œuvres de l’homme», dans une opposition à la «nature». Mais le terme de «culture», précisément pour cette dernière raison, ne pourrait-il beaucoup mieux correspondre au sens de l’antagonisme posé par Freud ?... Aussi bien le préfacier du Malaise dans la culture, Pierre Pellegrin, que son traducteur, Dorian Astor, avancent des arguments dignes d’attention. Ce dont traite Freud, au gré de ce qu’il nomme Kultur, c’est d’une vision anthropologique du sort de l’humanité, en la confrontant à la théorie de la psychanalyse. Or il a d’autant plus de réticences devant l’usage du mot « civilisation » que, sous sa forme germanisée, celui-ci réfère de manière polémique et péjorative, en Allemagne, aux moeurs et à la société françaises.

Fort souvent, ce livre de Freud, qui précède tout juste son dernier, L’Homme Moïse et la Religion monothéiste, en 1939, a été jugé pessimiste, et ses deux préfaciers actuels se montrent au moins d’accord pour considérer une telle opinion comme inexacte. Les pages qui concluent l’ouvrage, estiment-ils, sont à la rigueur l’expression d’un scepticisme, pas d’un désespoir. La perspective de voir Éros, principe de vie, gagner sur Thanatos, principe de destruction, n’est pas fermée. Optimisme ou pessimisme, est-ce vraiment, toutefois, le souci de Freud ? Son arrière-pensée est surtout, semble-t-il, de rejeter les spéculations qui tendraient à impliquer activement la psychanalyse dans la polis et la politique. Quand Wilhelm Reich s’y essaie en 1933 avec Psychologie de masse du fascisme, il est bien vite excommunié.

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